Compagnons De Chambrée
❰ Livre I – épisode 33 ❱
Salle à manger, jour. Séli et Guenièvre mangent à la salle à manger. | |
Séli | Vous avez fait vos valises pour demain ? |
Guenièvre | Oui, mère. Ça fait trois fois que vous me le demandez... |
Séli | Vous avez fait préparer votre chambre pour l'évêque Boniface ? |
Guenièvre | Ça m'agace un peu de devoir donner ma chambre à un évêque... |
Séli | Vous vous en foutez, vous êtes pas là ! |
Guenièvre | Mais si Arthur revient plus tôt que prévu ? Il va pas dormir avec l'évêque, quand même ! |
Séli | Vous vous en foutez, vous êtes pas là ! |
(Ouverture.) |
Chambre d'Arthur, nuit. Arthur s'assoit sur son lit, déjà occupé par quelqu'un qu'Arthur ne distingue pas. | |
Arthur | J'ai pris la route juste après le banquet. Je me sentais pas de« se sentir de » (loc.) Avoir l’envie et le courage de faire quelque chose En savoir plus passer encore une nuit là-bas, j'en avais marre... vous êtes là, vous, finalement ? Je croyais que vous passiez trois jours en Carmélide ? |
Monseigneur Boniface | (Se redresse.) Plaît-il ? |
Arthur | (Abasourdi.) Mais ! Mais qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous faites là ? |
Monseigneur Boniface | (Outré.) Mais je vous rétorque la même question, mon petit père ! C'est à quel sujet ? |
Arthur | À quel sujet ? Que vous allez décanillerdécaniller (v.) Partir, s'en aller En savoir plus vite fait d'ici ou j'appelle la garde ! |
Monseigneur Boniface | (Mielleux.) Ne vous donnez pas cette peine, j'allais justement le faire ! (Criant d'une façon ridicule.) À moi ! À l'assassin ! |
Arthur | C'est pas possible d'entendre ça ! (Criant.) Mais qui êtes-vous ? |
Monseigneur Boniface | Je suis Monseigneur Boniface, voyou ! (Présentant sa bague.) Évêque de Germanie ! |
Arthur | Ah... ah c'est vous, l'évêque ? (Serrant la main de l'évêque.) Ben je suis Arthur, roi des Bretons. |
Monseigneur Boniface | Oh ! Oh Sire ! Enchanté... (Affecté, et faisant un signe de croix en direction d'Arthur.) Que Dieu vous bénisse... |
Chambre d'Arthur, nuit. Monseigneur Boniface est couché dans le lit d'Arthur qui, debout, discute avec lui. | |
Arthur | Je reconnais que c'est pas très futé de vous avoir donné ma chambre. |
Monseigneur Boniface | C'est une idée originale ! |
Arthur | (Lassé.) C'est une idée de ma femme, surtout. Elle en a dix par jour, des comme ça. |
Monseigneur Boniface | Oui mais quand vous dites que c'est votre chambre, vous voulez dire c'est... c'est votre chambre fixe ou bien alors c'est une chambre euh... une chambre comme ça, quoi... |
Arthur | Je sais pas quoi vous dire, moi. C'est... c'est ma chambre. |
Monseigneur Boniface | Ah oui. Ah oui donc, ça veut dire, dans votre tête, c'est quelque chose qui est quand même très... très admis, qui est bien... bien carrécarré (adj.) Sérieux, clair, net En savoir plus, quoi. C'est... |
Arthur | Bah, c'est-à-dire que comme je suis roi, j'ai une chambre attitrée, vous voyez. Je tape pas aux portes tous les soirs pour voir si on peut pas me débarrasser un coin. |
Monseigneur Boniface | Mais vouivoui (adv.) Oui En savoir plus. Mais alors figurez-vous que je me demandais, justement, parce que ça me fait penser à quelque chose qu'on appelle, je sais pas si vous connaissez, qu'on appelle couramment une « chambre d'amis », vous voyez ? |
Arthur | Oui, non mais on en a des chambres d'amis, aussi, mais y a des amis dedans, là. Donc on peut... voilà. |
Monseigneur Boniface | Oui, cela dit, c'est assez inattendu pour moi, de me trouver dans une chambre d'amis. Parce que pour une visite protocolaire, j'aurais imaginé quelque chose de plus, euh... remarquez, celle-ci est cossuecossu (adj.) Qui dénote l'aisance financière En savoir plus, hein. |
Arthur | Oui, parce que c'est pas une chambre d'amis, celle-là. On a des chambres un peu classes pour le gratin, mais bon, c'est tout plein là. Tout plein. |
Monseigneur Boniface | Ah, oui d'accord. Ah oui, oui oui. Bah alors là... elle est... elle est peu chic. Et pour les repas, on fait comment ? |
Arthur | Alors, comment on fait là, parce que non, je suis désolé mais moi j'ai huit heures de cheval dans les pattespatte (n.f.) Jambe En savoir plus, moi il faut un peu que je... sinon... vous comprenez ? |
Monseigneur Boniface | (Se couvre le visage, confus.) Si je comprends, non mais j'ai... j'ai toujours l'habitude de prendre... (retire la couverture) de prendre tout le lit, installez-vous... vous voulez euh... (tend une poignée de chapelets à Arthur) des... (triture les chapelets) ces... |
Chambre d'Arthur, nuit. Arthur et Monseigneur Boniface sont au lit. | |
Monseigneur Boniface | Ah, je voulais vous demander, et c'est un petit peu le motif de ma visite, que pense le peuple breton du concept du dieu unique ? |
Arthur | (Lève les yeux au ciel.) |
Monseigneur Boniface | Ça les inquiète, ça, ou... ? |
Arthur | Le dieu unique, je sais pas, mais moi qui couche avec un évêque, ça peut les inquiéter, oui... |
Monseigneur Boniface | Non mais parce que bon, la chrétienté, tout ça, tout ça c'est... bon c'est assez jeune, hein il faut que l'idée fasse son chemin. Et je me demandais, justement, si on pourrait pas faire, dans un premier temps, cohabiter l'idée du dieu unique avec l'idée de vos dieux anciens à vous. |
Arthur | Voilà, et d'ailleurs, éventuellement, ce qu'on pourrait faire, c'est parler de tout ça demain. |
Monseigneur Boniface | Bien sûr. Mais je prends... je prends un exemple, tout à fait au hasard... est-ce que l'homosexualité est quelque chose de répandu, chez vous ? C'est euh... |
Arthur | Je sais pas ? Pas plus qu'ailleurs, je suppose ? |
Monseigneur Boniface | Ah non parce que nous, figurez-vous que... alors nous on se tâte, pour savoir si on doit l'autoriser ou l'interdire. |
Arthur | L'interdire ? Pour quoi faire ? |
Monseigneur Boniface | (Hors de lui.) Ah bah voilà, hé ben c'est exactement ce que je leur dis ! Voilà ! Moi, je fais partie de ceux qui se battent pour qu'on l'autorise, et même qu'on l'encourage ! Voilà ! |
(Fermeture.) |
Chambre d'Arthur, nuit. Monseigneur Boniface est couché dans le lit d'Arthur, qui est allongé par terre. | |
Monseigneur Boniface | Non mais enfin, c'est très gênant de vous voir dormir par terre ! C'est votre chambre, tout de même ! |
Arthur | Impeccable ! Vous inquiétez pas, je vais dormir comme un loir ! |
Monseigneur Boniface | Bah oui mais si quelqu'un entre, qu'est-ce qu'il va penser ? |
Arthur | Justement, si quelqu'un entre, il pensera moins de trucs si je suis par terre. |
Monseigneur Boniface | Bon alors qu'est-ce que je fais ? J'éteins ? |
(Noir.) | |
Arthur | Euh, non. Laissez allumé. Je préfère. |
(Stab final.) |