Dux Bellorum

Livre VI – épisode 5

Ferme de Bohort, jour. Merlin se tient face à Bohort Père. Evaine, Bohort, Lionel et la femme de ce dernier se tiennent non loin, tout comme un certain nombre de garçons de ferme qui regardent le sol, apeurés par la tempétuosité du patriarche. Bohort porte une tunique en tartan dont le motif rappelle celui de Burberry, et une coupe de cheveux qui lui donne l'air d'un champignon.
Bohort Père Oui, druide... cent fois oui... la noblesse de Gaunes saura répondre présent à ton défi !
Merlin C'est pas spécialement mon défi...
Bohort Père Combien de fois j'ai enfourché mon cheval à la demande de feu Uther Pendragon, et combien de traîtres ai-je pourfendu à sa demande ? (Rit fièrement.)
Merlin Je peux pas dire...
Bohort Père Druide... que ne viens-tu pas m'annoncer ? Un nouveau roi pour Logres !
Merlin Je savais pas que ça vous ferait cet effet-là, je... je m'étais dit...
Bohort Père Ma réponse est « oui » ! S'il faut partir à l'aventure, pour endiguer quelque menace, nous saurons prouver notre engagement !
Evaine (À l'oreille de Bohort Père.) Êtes-vous sûr que vous êtes en état ?
Bohort Père Il suffit, je vois bien à quoi vous faites allusion...
Evaine Hier... sur la plage, il a... malencontreusement...
Bohort Père Bah oui ! Je me suis pété la gueule en courant après un crabe ! Ça peut arriver à n'importe qui !
Evaine Vous avez déjà tant donné dans votre héroïque jeunesse...
Bohort Père La salope de bestiole ! Elle est allée se fiche dans un trou... et quand j'ai voulu tirer mon pied du sable, par un effet de ventouse j'y ai laissé ma godasse et je me suis emmêlé les jambons !
Evaine Soyons réalistes. Cela vous serait-il arrivé, il y a dix ans ?
Merlin Pour le coup, je sais pas bien quoi vous dire, moi...
Bohort Père Soit. Puisque Pendragon nous a donné son fils, je m'en vais donner le mien. Lionel ! Venez ici !
Lionel Mais... Père ! N'est-ce pas... traditionnellement... le fils aîné, qui doit...
Bohort Père Ou,i bien sûr que c'est le fils aîné ! (Criant.) Enfin ! Vous me prenez pour une bleusaille ?
Lionel Non, mais alors pourquoi ?
Bohort Père Parce que j'exècre le nouveau genre de votre frère ! Ses habits grotesques... cette coupe de cheveux de vendeuse de brochettes...
Lionel C'est la mode.
Bohort Père Mode de tarés !
Lionel Cependant, la tradition veut...
Bohort Père C'est vrai... respectons les us... Bohort, venez ici.
Merlin (À Bohort Père.) C'est pas vous, Bohort ?
Evaine Vous n'allez pas envoyer Bohort !
Bohort Père Si. C'est lui, qui brandira la bannière de la famille. Ah... les dieux me soient témoins que j'aimerais être à sa place, mais pas avec cette coupe ! Alors, quelle mission allez-vous choisir ? De quel monstre sanguinaire allez-vous débarrasser la Bretagne ?
Bohort Bah... comme ça, à chaud... il faut étudier un peu les options qui se présentent !
Evaine N'allez pas vous lancer dans quelque dangereuse entreprise !
Merlin En même temps, pour que la quête soit validée, il faut quand même que y ait un minimum de risque !
Bohort Père De risque ? (Amusé.) Mais... je compte bien qu'il frôle la mort, une bonne douzaine de fois !
Evaine Mon Dieu !
Bohort N'oublions pas qu'il existe bien des manières de frôler la mort ! Le fait même de monter sur son cheval, par exemple...
Merlin Ce qui compte, c'est de délivrer le pays d'un fléau.
Bohort Comme par exemple, euh... le verglas ? Ça irait ?
(Merlin et Bohort Père se regardent, circonspects.)
(Ouverture.)
Sudatorium, matin. Sallustius et Servius sont assis d'un côté du sudatorium, Flaccus, Lurco, Pisentius et Desticius sont assis en face. Sallustius tient une tablette de cire, Desticius a la tête entourée d'un gros bandage ensanglanté.
Sallustius (Soupire.) Bon alors, vous allez me la signer, cette tablette, oui... oui ou flûte ? La cire commence à fondre, là, regardez...
Pisentius Tu nous agaces, Sallustius... tu nous agaces à gros rendement...
Desticius Quand je pense qu'on est là pour se détendre, j'ai déjà les nerfs en tresse !
Servius Mais vous détendre de quoi ? Vous glandez rien de la journée !
(Flaccus, Lurco, Pisentius et Desticius protestent vivement.)
Lurco Hé, si c'est pour entendre ça, vous pouvez foutre le camp direct avec votre machin à signer, là ! Hein ?
Flaccus Ou vous le coller là où je pense...
Sallustius Non mais le gamin... hé oh oh ! Le gamin, il s'est distingué, oui ou non ? Il mérite d'être nommé général, oui ou non !
Flaccus Non !
Lurco (En même temps que Flaccus.) Non !
Pisentius (En même temps que Flaccus.) Non !
Desticius (En même temps que Flaccus.) Non !
Desticius Il a assassiné un gros porc dans une fête ! Il a pas gagné ses galons sur un champ de bataille ! Ça suffit !
Servius Mais c'est pas possible, d'entendre ça ! C'est vous qui vouliez qu'on le butebuter (v.) Tuer
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, le chef ostrogoth !
Sallustius Des mois... des mois que vous me piétinez les ballochesballoche (n.f.) Testicule
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avec votre chef ostrogoth... « C'est urgent, c'est urgent, c'est urgent, c'est urgent, il faudrait, c'est urgent, ah, dis donc, (inintelligible), le chef ostrogoth... »
Flaccus Oui, c'était urgent, parfaitement ! Parce qu'on glande peut-être, mais on sait encore ce qui est urgent ou pas.
Sallustius Hé bah voilà, c'est fait, maintenant !
Servius Ouais, et c'est le gamin qui s'en est occupé.
Sallustius Alors maintenant, on remercie celui qui nous a débarrassé de ce fléau, en lui accordant une promotion exceptionnelle ! C'est tout ! C'est tout.
Servius D'ailleurs j'ai apporté son costard, hein. Il a plus qu'à l'enfiler.
Pisentius Ah oui oui oui, non non, mais euh... est-ce qu'on est bien sûrs que ça pourrait pas nous être reproché, tout ça ?
Desticius Parce qu'on promeut, on promeut...
Servius (Agacé.) Mais quoi, « on promeut, on promeut... » ?
Flaccus Bah il te faudra la signature de Caesar, je te signale.
Sallustius Caesar... je m'en occupe.
Lurco Ah oui... oui, il s'en occupe, de Caesar, hein ? Un vrai père, pour notre vieil imperator, quel dévouement... et tu viens nous dire que tu tiens tes ordres de Caesar, toi ?
Sallustius Quoi ?
Lurco Tu m'as tout l'air de quelqu'un qui les donne, les ordres, Sallustius.
Sallustius (Se lève calmement et tend sa tablette de cire à Flaccus.) Signez.
Flaccus (Prend la tablette et signe.)
Lurco (Prend la tablette et signe.)
Bureau de Glaucia, matin. Glaucia est assis à son bureau, Procyon est assis devant lui. Tous les deux ont des bandages ensanglantés autour de la tête.
Glaucia Les fumiers, les fumiers, les fumiers, les fumiers, les fumiers !
Procyon Qui ça ?
Glaucia Qui ça ? Tous ! Tous ! Sallustius ! Sallustius et son petit salopard d'Arturus ! Et ces bouseux de Bretagne, là... tous !
Procyon Ouais mais enfin il est quoi, maintenant, Arturus ?
Glaucia Dux bellorum !
Procyon Bah c'est bon, ça... c'est toujours pas plus que vous !
Glaucia Pas plus que moi ? Dux bellorum ? Moi je suis... je suis responsable d'une bande de glands, dans une caserne pourrie ! Une milice dont tout le monde se fout ! Arturus, il est chef de guerre, général ! Il peut rencontrer Caesar en personne, gros taré !
Procyon Ouais. Ouais donc... donc, c'est plus que vous, ouais.
Glaucia Tu l'as dit, oui.
Procyon Mais, euh... il est classe, l'uniforme de général ?
Glaucia Quand il est mérité, oui.
Procyon Attendez, moi je suis votre adjoint... je mérite pas mon uniforme... mais ça l'empêche pas de faire classe ! Ah je suis drôlement content d'ailleurs, parce que je l'ai fait avec des restes d'uniforme prétorien que j'avais retrouvés dans le grenier de chez ma mamie...
Glaucia Si tu fermes pas ta gueule maintenant, je te rétrograde.
Procyon Ah bon. Mais euh...
Glaucia Je sais que tu sais pas ce que ça veut dire...
Procyon (Acquiesce.)
Quartiers riches, matin. Servius descend les marches d'un palais, suivi tant bien que mal par Arthur dans son nouvel uniforme.
Servius Dis donc, qu'est-ce que tu dirais de te grouiller un peu, là ?
Arthur (Soulevant la paragnathide de son casque pour mieux entendre.) Hein ?
Servius Qu'est-ce que tu dirais de te grouiller un peu ?
Arthur Mais... je peux pas bouger, dans ce merdier ! J'ai l'impression d'être enfermé dans un buffet !
Servius C'est l'uniforme réglementaire, ça ! T'es chef de guerre, tu t'habilles en chef de guerre, c'est tout !
Arthur Mais les chefs de guerre, ils sont pas habillés en chef de guerre à la guerre ? En pleine ville, comme ça, je peux pas porter une petite limace légère, comme vous, là ?
Servius Tu porteras bien ce qu'on te dira.
Arthur Ah bah bien. Je suis chef de guerre et je larbine comme avant tout pareil.
Servius Mais tu portes ton uniforme, qu'est-ce que tu me parles de larbiner ? Tu sais combien y en a qui voudraient être à ta place ?
Arthur Hé bah, pourquoi vous les prenez pas, eux ?
Servius On prend qui on veut, t'es chef de guerre et puis c'est tout !
Arthur Si j'étais vraiment chef de guerre, vous auriez pas le droit de me parler comme ça.
Servius Bon, euh... tu sais quoi, t'as raison. Je te prie de m'excuser, Arturus. Est-ce que tu aurais l'obligeance, sans vouloir te commander, de bien vouloir te magner le cul ?
Arthur (Ajuste à grand peine son uniforme et suit Servius.)
Forêt, jour. Berlewen marche dans les sous-bois et récolte des champignons dans un panier. Urgan et ses hommes, parmi lesquels son neveu, l'observent, cachés. Urgan tient un couteau, son neveu tient un grand fléau à céréales.
Urgan (Fait signe silencieusement à ses hommes.)
(Urgan et ses hommes sortent de leur cachette et viennent se poster sur un surplomb en criant « hé ! » et en prenant des poses théâtrales.)
Urgan (À ses hommes.) Non, c'est pas bien, c'est... enfin c'est bien le « hé ! », mais c'est... on laisse tomber, on verra ça ce soir. (À Berlewen.) Halte, jeune bourgeoise alanguie ! Tu seras plus légère point de vue poids quand tu auras cédé tes richesses.
Berlewen (Pose son panier de champignons aux pieds d'Urgan.) Voilà. Tout ce que j'ai c'est là-dedans.
Urgan Mmh ! Des champignons pour tout butin ! Voilà qui annonce une collation des plus hétéroclites !
Le neveu d'Urgan Des champignons ? C'est tout ?
Urgan Hé bah oui, bah c'est ce qu'on appelle la fameuse embuscade à la forestière !
Berlewen (Apeurée.) Mmh... laissez-moi partir...
Urgan C'est ça, file, file, file ta laine !
Le neveu d'Urgan Mais mon oncle... il faut lui faire du mal, aussi !
Urgan Oui mais comment ?
Berlewen Non non non, je vous en prie, laissez-moi.
Urgan Mais, une pet... (se pique le doigt par mégarde à la pointe de son couteau) petite minute ! Patience est mère de famille.
Le neveu d'Urgan Normalement, il faut lui faire du mal, sinon elle aura pas assez peur !
Berlewen « Pas assez peur » ? Je vois pas ce qu'il vous faut...
Urgan Ah oui, non mais il me semble que la pauvrette est déjà bien caractérisée, non ? C'est son caractère !
Le neveu d'Urgan Qu'elle raconte qu'on est des horribles, c'est ça le marché !
Berlewen (Prend la fuite.)
Le neveu d'Urgan Mais elle s'en va !
Urgan Oui ! Âpre constat ! Que n'en sommes-nous nenni ? Allez venez, nous pouvons... nous relaxer. Cette jeunette se souviendra de nous en des termes peu restrictifs.
Le neveu d'Urgan Vous êtes sûr ?
Urgan Non. Mais j'ai la sûreté d'un rechef. Tiens-toi tranquille... boum.
Ferme de Bohort, jour. Berlewen arrive en courant, affolée.
Berlewen Bohort ! Bohort ! (Aperçoit Evaine.) Oh Belle-Maman !
Evaine (Prend Berlewen par les épaules.) Ma petite ! (Fait asseoir Berlewen.) Que vous arrive-t-il ?
Berlewen Mon Dieu... des bandits de grand chemin !
Evaine Comment ?
Berlewen C'est affreux, je leur ai... laissé mes champignons, et... et je me suis enfuie !
Evaine Vous ont-ils violentée ?
Berlewen Non. Mais s'ils m'avaient rattrapée...
Evaine Qu'allons-nous faire ?
Bohort (Sort de la ferme, armé d'une bardiche.) Séchez vos larmes, mon épousée ! Je m'occupe d'aller chercher ces petites salopes par la peau du fion !
Evaine (Se lève, outrée.) Bohort !
Bohort (S'approche d'Evaine.) Pardon, mère... mais n'est-ce pas ainsi que les héros menacent leur cible ?
Evaine Les héros je ne sais pas, mais vous... (prend l'arme de Bohort) vous aurez la délicatesse de vous abstenir !
Berlewen (Se réfugie dans les bras de Bohort.)
Bohort En tout cas, j'y vais ! (À Berlewen.) N'ayez crainte, je me fais fort de vous venger de vos tourmenteurs ! Oui ! Je vais leur apprendre à être polis avec ma femme, à ces pédales ! (S'approche d'Evaine.) Pardon, mère... (Tente d'arracher la bardiche des mains d'Evaine.)
Evaine (Résiste, agrippée à l'arme.)
Bohort (Laisse tomber et part, en s'armant au passage d'une pelle à pain.)
Couloir de la caserne, matin. Glaucia passe un savon aux miliciens. Procyon se tient à côté de lui.
Glaucia J'en ai rien à foutre, de vos excuses bidon ! Vous avez pas à glander au milieu du couloir !
Procyon Ils glandaient pas, ils étaient en train de se diriger vers le...
Glaucia Je t'ai dit que j'en avais rien à foutre ! J'en ai marre de cette compagnie de branleursbranleur (n.m.) Individu qui emploie une partie significative de son temps à ne rien faire
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... marre, mais marre... et le pire de tout, c'est de me farcir ta tronche, Manilius ! Tous les jours, ta tronche ! Alors que tu devrais être dans un lion, à l'heure qu'il est...
Manilius (Sarcastique.) Je suis désolé...
Glaucia La ferme ! Quand je dirai « soldat »...
(Les soldats protestent.)
Glaucia Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a, bande de mange-merdes ? Quand je dirai « soldat », vous lèverez la main ! Compris ?
Procyon Ils ont forcément compris, puisque tous les jours vous leur faites le coup...
Glaucia La ferme ! Qui est une petite pute de soldat ?
(Les soldats lèvent la main.)
Glaucia Qui est une petite salope de soldat ?
(Les soldats lèvent la main.)
Glaucia Ils sont où les... les plus nuls, les plus zéros, les plus débiles de tous les soldats ?
(Les soldats lèvent la main.)
Glaucia Cinquante pompes !
(Les soldats ne s'exécutent pas.)
Glaucia Cinquante pompes, ou c'est le fouet pour tout le monde !
(Les soldats s'exécutent.)
Papinius (Peine à terminer ne serait-ce qu'une pompe.)
Glaucia Un... deux... trois... remue-toi le trognon, Papinius, ou t'en fais cinquante de plus !
Papinius Cinquante, je vais y rester !
Falerius Tiens le coup !
Procyon (Voyant Arthur et Servius arriver.) Debout ! Debout !
(Arthur et Servius arrivent.)
Glaucia Ave, Publius Servius Capito.
Servius (Désigne Arthur d'un signe de tête.) Et ?
Glaucia Et quoi ?
Servius Bah je sais pas, tu salues pas les généraux ? Pourtant c'est largement au-dessus de ton grade merdique, non ?
Glaucia Je connais pas son nom complet !
Servius (À Arthur.) C'est quoi ton nom complet ?
Arthur Arturus, c'est tout.
Servius (À Glaucia.) Bah en fait tu vois, tu le sais.
Glaucia (Entre ses dents serrées.) Ave Arturus...
Servius Pardon ?
Glaucia Ave Arturus !
Servius Voilà. Sinon, qu'est-ce tu faisais de beau, là ?
Glaucia Je... donnais une correction aux gars, euh... la routine !
Servius Bah continue !
Glaucia Je... je continue ?
Servius Je sais pas, moi... à moins que ton supérieur hiérarchique soit pas d'accord, je... je vois pas de raison d'interférer !
Glaucia (Aux soldats.) Qui est un gros bâtard de soldat ?
(Les soldats lèvent la main.)
Glaucia Et... et ils sont où, les plus tarés de tous les soldats ?
(Les soldats lèvent la main.)
Glaucia Cinquante pompes !
(Les soldats ne s'exécutent pas.)
Glaucia Cinquante pompes !
(Les soldats ne s'exécutent toujours pas, attendant un ordre contraire d'Arthur.)
Glaucia Cinquante pompes, par Mars ! Ou c'est le fouet !
Arthur (Part.)
(Les soldats commencent à faire des pompes.)
Dortoir de la caserne, jour. Arthur est allongé sur son lit, en uniforme.
La Dame du Lac (Apparaît.)
Arthur Ah ! Ah non mais c'est pas vrai, mais vous allez pas me foutre la paix, non ? L'accès à la caserne est interdit aux femmes !
La Dame du Lac Qu'est-ce que vous faites tout seul, là ? Pourquoi vous ruminez ?
Arthur Pff... qu'est-ce que ça peut vous foutre ?
La Dame du Lac Enfin, vous êtes un chef de guerre, là ! Il faut vous activer !
Arthur M'activer à quoi ?
La Dame du Lac Ben j'en sais rien moi, qu'est-ce qu'ils font les chefs de guerre ?
Arthur Mais j'en ai pas la moindre idée ! C'est bien le problème !
La Dame du Lac Ben... prenez des... décisions ! Donnez des ordres ! Faut bien commencer !
Arthur (Soupire.) Foutez le camp ! Tiens, en voilà un, d'ordre. Ça vous convient ?
Manilius (Hors-champ, du couloir.) Arturus !
Arthur Attention, fermez-la.
La Dame du Lac Bah pourquoi ?
Arthur Parce qu'il y a quelqu'un qu'arrive.
La Dame du Lac Il peut pas m'entendre, je vois pas pourquoi je la fermerais...
Arthur Moi je vous entends, ça me gêne !
Manilius (Entre.) Bah t'es là ? Qu'est-ce que tu fous ?
Arthur Rien.
Manilius Alors ?
Arthur Alors quoi ?
Manilius Alors la suite ! Ça se passe comment ?
Arthur (Agacé.) Quelle suite ?
Manilius Quand est-ce que tu prends tes fonctions en Bretagne ? Qui c'est que tu mets dans ton équipe ? La fédération on en parle, on n'en parle pas ?
Arthur Mais j'en sais rien, mon pauvre...
Manilius Attends, vieux... t'as qu'à parler ! On attend tous tes décisions !
Arthur (Trépigne, exaspéré.) Mais... lâchez-moi la jupe !
Manilius Pardon, j'ai compris. Je te laisse te concentrer, champion. Prends le temps qu'il te faut. Dès que tu sais, on rapplique tous au garde-à-vous. (Sort.)
La Dame du Lac Vous êtes amoureux de la dame romaine, c'est ça qui va pas.
Arthur Merde.
La Dame du Lac Y a pas de mal à être amoureux ! Mais occupez-vous-en, parce que ça vous perturbe pour le reste !
Arthur Merde.
La Dame du Lac (Disparaît.)
Forêt, jour. Perceval porte un baluchon. Il tourne sur lui même, terrifié.
Perceval Mamie ! Mamie !
Nonna (Hors-champ, au loin.) Je suis là !
Perceval Mais où ?
Nonna Là !
Perceval Mais je vous vois pas !
Nonna Oh, mais zut !
Perceval Mais qu'est-ce que vous faites ? Vous cherchez des ennemis pour l'aventure ?
Nonna Non. Je cueille des fruits pour le repas de ce soir.
Perceval Ah non, mais c'est n'importe quoi, ça ! Les coéquipiers doivent jamais se séparer ! Si y a du danger, je suis en terrain circulaire !
Nonna « En terrain découvert », imbécile !
Perceval Et puis on avait dit qu'on travaillerait notre nouvelle technique de combat !
Nonna Quand est-ce que j'ai dit ça, moi ?
Perceval Mais si, vous vous souvenez pas, ma super idée, là ? Une technique où on se bat qu'avec des fougères ! En cas de coup dur ! Vous avez promis !
Nonna J'ai promis, j'ai promis... j'ai promis que je viendrais m'amuser avec vous quand j'aurais fini ma cueillette ! C'est ça, que j'ai promis !
Perceval Ah non, mais c'est n'importe quoi, ça, hein !
Nonna C'est vous, qui allez faire à manger, peut-être ? Non. Alors vous me laissez tranquille, et vous attendez que j'ai fini.
Perceval (Après quelques secondes.) Mamie ? (Hurlant.) Mamie !
Nonna Oh ! Mais c'est pas possible, ça !
Perceval Non mais là je vous entendais plus, là ! Les coéquipiers, ils se perdent jamais de vue !
Nonna Mais moi, depuis que vous êtes né, je vous perds jamais de vue !
Perceval Non mais allez, sortez, là ! Si y a un sanglier féroce, je me fais fumer !
Nonna Un sanglier féroce...
Perceval Allez, y a plein de bruits, là ! Si ça se trouve, c'est bourré d'oiseaux venimeux !
Nonna (Arrivant.) C'est fini, oui ? Vous voulez que je vous en colle un dans le pif, d'oiseau venimeux ?
Perceval Bah c'est père qui me l'a raconté, ça, les oiseaux venimeux... y en a des rouges, des jaunes, euh... des re-rouges, euh... et des pourpres ! Ils bouffent que des noisettes et des escalopes de veau ! Et quand ils vous donnent un coup de bec, hé ben... vous voyez une grande lumière, et... ça vous donne la diarrhée !
Nonna (Donne une claque à Perceval.) Allez ! Vous me raconterez ça... en route ! (Reprend la route.)
Perceval Ah non mais j'en ai marre, moi ! Vous m'écoutez jamais !
Nonna Non, je vous écoute pas, parce que vous me faites la tête comme une pastèque !
Perceval (Suivant sa grand-mère.) En plus, je voulais développer une technique pour récupérer du poison... pour mettre sur les petits piquants dans les sarbacanes... paraît que ça file la diarrhée aux ennemis !
Villa Aconia, jour. Arthur vient d'entrer, tenant son casque à la main. Drusilla nettoie le sang du chef ostrogoth sur le bord de l'impluvium.
Arthur Elle est là ?
Drusilla (Glaciale.) Non.
Arthur Elle est où ?
Aconia (Arrivant du péristyle.) Va-t'en ! Ne remets plus jamais les pieds ici !
Arthur Attendez...
Aconia Quand on est accueilli chez quelqu'un... on ne jette pas le déshonneur sur sa maison en tuant un invité. Voilà ta dernière leçon, mon jeune élève. Je ne veux plus jamais te voir. (Part.)
Arthur Mais... attendez, vous pouvez pas me virer comme ça ! Il faut que je vous explique, c'est Sallustius qui m'a demandé de faire ça ! Vous m'entendez ? C'est Sallustius !
Drusilla (Hurlant.) Fichez le camp ! (Part.)
Tente des hommes de Macrinus, jour. Karadoc et Lan sont entravés par une corde et entourés de soldats. Cordius les observe.
Karadoc (Criant.) On s'en fout, d'être prisonniers, nous !
Lan (Criant.) Ouais, parce que dans nos têtes, on est libres !
Karadoc Libres comme l'oiseau !
Lan Vous avez qu'à nous détacher, pour voir !
Karadoc On vous défonce !
Lan On vous marave !
Karadoc On vous pine vos zizis !
Macrinus (Hors-champ, hurlant depuis le camp.) Oh ! C'est pas vrai ! C'est quoi, ce bordel ? (Arrive.)
Cordius Voilà, ces types ont été arrêtés alors qu'ils attaquaient le camp.
Macrinus Combien ils étaient ?
Cordius Comment ça, « combien ils étaient » ?
Macrinus (Hors de lui.) À attaquer le camp !
Cordius Ah mais non, mais... mais là, vous avez tout sous les yeux !
Macrinus Ils ont attaqué le camp à deux ?
Cordius Voilà. Et apparemment ils viennent de Vannes.
Macrinus De Vannes ?
Karadoc De Vannes, ouais... détachez-nous, on vous zize !
Macrinus Vous êtes venus jusqu'ici... depuis le continent, pour euh... nous attaquer à deux ?
Lan Ouais, et sur le Continent, ils vont s'apercevoir qu'on revient pas !
Karadoc Ils auront vite fait de traverser jusqu'ici pour vous botter le train !
Cordius Voilà, alors moi j'ai commencé à les cuisiner gentiment...
Macrinus (Tapote le plastron de Cordius pour attirer son attention.)
Cordius Fortes têtes, hein !
Macrinus (Tapote à nouveau le plastron de Cordius.) Écoute... j'en ai marre de tes imbécillités, tu vas m'attacher ces deux cons à un arbre, et loin ! Je travaille ! Je veux du silence !
Lan Allez, détachez-nous ! On vous tabasse !
Karadoc On vous kicke !
Macrinus (Part.)
Ferme de Bohort, jour. Bohort se prépare à partir, aidé par un camarade fermier. Lionel, sa femme et Evaine observent la scène.
Le fermier de Gaunes Là je vous ai mis vos écharpes : la beige, la bleue... la verte en soie de Chine je l'ai gardée, vous risqueriez d’abîmer l'étoffe sur quelque ronce.
Bohort Vous avez bien fait.
Evaine Avez-vous engagé des mercenaires, pour vous seconder ?
Bohort Non, mère. Une quête de mérite ne se doit effectuer que seul.
Evaine Il existe bien de ces héros qui ne se promènent qu'à deux ? (Désigne le fermier.) Prenez donc celui-là, comme partenaire...
Bohort Et pourquoi pas... (se retourne et pointe Lionel du doigt) celui-là ?
Evaine Ma foi...
Lionel S'il arrivait malheur, Mère saurait-elle supporter de nous perdre d'un seul coup tous les deux ?
Bohort (S'approche de Lionel.) Vous pourriez prendre la peine de rougir, risible capon ! (Retourne vers le fermier.)
Le fermier de Gaunes Là-dedans, j'ai mis quelques brioches que j'ai fait cuire ce matin.
Bohort Merci.
Bohort Père (Sort d'une hutte, fier.) Ah ah ! Tremblez, mécréants ! Tremblez devant le vengeur des opprimés ! (Donne une tape affectueuse à Bohort.) Ainsi, vous voilà fin prêt... à prendre votre envol !
Bohort Oui, Père.
Le fermier de Gaunes Pour les brioches...
Bohort Ah, mais vous m'agacez, avec vos brioches ! Croyez-vous que je quitte la demeure pour allez m'empiffrer...
Bohort Père (Saisissant le sac de brioches.) Donnez-moi ça, crétin ! Et fichez le camp, avant que je ne vous passe votre boulangerie par le fondement !
Le fermier de Gaunes (Part en courant.)
Bohort Père (À Lionel, sa femme et Evaine.) Et vous, les éplorées ! Allez minauder plus loin ! De l'air, pour le héros !
Bohort Oh, Père... Père, si vous saviez... comme j'ai hâte d'aller donner ma vie...
Bohort Père Bohort... vous savez... l'aventure est une chose magnifique.
Bohort Certes !
Bohort Père Cependant, chose curieuse, je souhaiterais que vous preniez garde à ce qu'il ne vous arrivât pas malheur. Voyez-vous, je me figurais un drame, cette nuit, dans mon lit, et en arrivai à cette conclusion que votre disparition me plongerait dans une infinie tristesse.
Bohort Mais... non...
Bohort Père Prenez... ces brioches, que j'ai ordonné de cuire... au moindre péril, plongez dans un trou, montez dans un arbre, et faites cache de tout recoin. Ainsi dissimulé, mangez-les calmement. Et pensez très fort à celui qui vous les confie, et... qui attend votre retour. (Part.)
Abords du camp de Macrinus, jour. Des soldats attachent Karadoc et Lan à des arbres à l'aide de chaînes.
(Les soldats retournent dans le camp.)
Le prisonnier (Adresse à Karadoc et Lan un signe de main sans énergie.)
Appartement de Licinia, jour. Arthur est assis face à Licinia, Verinus et Julia.
Licinia Si un jour on m'avait dit qu'un général viendrait chez moi...
Arthur (Ne répond rien.)
Julia Sinon, tu racontes rien ? Ça ressemble à quoi, tes journées, maintenant ?
Licinia Avec... tes nouvelles responsabilités ?
Verinus Bah en même temps, s'il est là, c'est que... (à Arthur) enfin le prends pas mal, hein... mais bon, t'as pas l'air d'avoir grand-chose à glander, quoi, là...
Julia Mais ça va bien, de dire ça ?
Licinia (À Verinus.) Tu crois que t'as l'air d'avoir quelque chose à glander, toi ?
Julia (Approuvant.) Mmh...
Verinus Ah non mais moi je glande, attention ! Moi je glande, c'est admis ! Mais si tu veux, un général, moi je me disais que... ça devait pas avoir une minute à soi, quoi, tu vois ?
Arthur Mmh. Ben tu t'es gourése gourer (v.) Se tromper
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.
Verinus Parce que... ça sert à quoi, exactement, un général ?
Arthur Diriger des légions.
Verinus Et toi t'en diriges pas ?
Arthur Non, mais... en Bretagne, peut-être...
Verinus Mais à Rome, non. Voilà. Du coup t'as rien à glander.
Licinia (À Verinus.) Tu recommences !
Julia C'est pas vrai, ça !
Verinus Non mais ça va, c'est pas dit méchamment !
Arthur Euh... pardon, excusez-moi, parce que là je... ça vous dirait qu'on... (désigne l'extérieur) je suis un peu... (agite sa main devant lui comme un éventail) qu'on aille s'en jeter un ? Hein ? (Se lève et remet son casque.) C'est moi qui... c'est moi qui paie ! C'est sur la... la solde du dux bellorum.
Verinus Attends voir, parce que... nous on vient, euh... avec toi ? Enfin je veux dire, on... en même temps ?
Arthur Bah oui, pourquoi ?
Verinus Non non, c'est...
Arthur On y va ? Ouais. (Tente de passer la porte, mais son casque heurte le linteau et il tombe.)
Forêt, jour. Bohort progresse prudemment, portant une sacoche. Urgan et ses hommes, parmi lesquels son neveu, l'observent, cachés. Urgan tient un couteau, son neveu tient un grand fléau à céréales.
(Urgan et ses hommes sortent de leur cachette et viennent se poster sur un surplomb en prenant des poses théâtrales.)
Urgan Halte ! Bourgeois des temps modernes ! Tu t'en tireras à si bon compte... que s'il font les bon amis.
Le neveu d'Urgan J'attrape son baluchon ?
Urgan Voilà qui me semble une idée rondement ficelée.
Bohort Attendez ! Je n'ai rien.
Urgan Rien ? Rien ? Ah non, j'espère que tu fabules, bourgeois de bon aloi... as-tu la fabulette bien preste ?
Le neveu d'Urgan Je l'assassine ou pas ?
Bohort Attendez, laissez-moi vous expliquer...
Urgan Méfie-toi, riche homme... on ne berne pas deux fois Urgan, l'homme-goujon.
Le neveu d'Urgan Même une fois...
Urgan Euh... oui. Oui, mais non, non, carrément, je sais pas pourquoi j'ai dit « deux fois »... on ne berne pas une fois l'homme-goujon.
Bohort J'ai encore besoin de faire quelques essayages !
Urgan Hâte-toi... ma patience n'a pas son pareil !
(Urgan et ses hommes adoptent de nouvelles poses.)
Quartiers pauvres, jour. Arthur marche dans la rue, suivi de Julia, Verinus et Licinia. Les gens s'écartent sur son passage.
Arthur (Se retourne soudain.) Bon, alors ? Qu'est-ce que... qu'est-ce que vous foutez ?
Verinus Bah c'est-à-dire qu'en fait, on sait pas vraiment si on doit marcher à côté de toi, ou alors s'il faut se tenir à distance.
Arthur À distance de quoi ? Vous êtes cons, là, ou...
Verinus Non mais... attention, hé... à la limite, tu nous dis, hein, y a pas de...
Arthur Mais... j'ai rien à vous dire, vous marchez comme vous voulez !
Licinia Non mais... y a pas que nous qui savons pas quoi faire, hein ! Regarde les gens, ils... ils font trois pas de côté quand ils te croisent !
Arthur Mais qu'est-ce que j'en ai à secouer« n'en avoir rien à secouer » (loc.) Se désintéresser d’une chose ou y être totalement indifférent
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, des gens ? Vous êtes pas les gens, vous, si ?
Julia Mais pourquoi tu t'énerves ?
Arthur (Criant.) Je m'énerve parce qu'on dirait que vous avez vu un fantôme ! Non mais ça va, non ? J'ai pris du grade ! Il m'est pas poussé des oreilles de lapin ? Alors vous marchez normalement, on va boire du coup, et vous tâchez d'oublier deux secondes que je suis chef de guerre !
(Deux soldats passent par là et saluent Arthur d'un « ave, Général ».)
Arthur (Aux soldats.) Mais foutez-moi le camp ! Tirez-vous de là, bande de conneaux ! Allez hop ! Allez !
(Les soldats partent en hâte, suivis de Julia, Verinus et Licinia.)
Arthur (À Julia, Verinus et Licinia.) Mais pas vous ! Passez devant. Passez devant.
(Julia, Verinus et Licinia poursuivent leur chemin.)
Arthur (Exaspéré, à des badauds qui l'observent.) Quoi ? Bah oui, continuez de machiner, qu'est-ce qu'il y a ?
Campagne, jour. Perceval et Nonna sont assis près d'un feu, Perceval tient des brochettes.
Perceval Non mais allez, on y va, là...
Nonna On va où ?
Perceval Mais faire des trucs pour l'aventure !
Nonna Il y a des heures pour l'aventure, et y a des heures pour manger !
Perceval Mais on a déjà mangé ce matin !
Nonna Vous êtes maigre comme une ficelle. Vous mangez ce que je vous prépare, ou on rentre à la maison tout de suite !
Perceval Mais on n'a pas avancé d'un pouce, là ! Faut trouver quelqu'un à sauver, ou un ennemi !
Nonna Un ennemi ? Vous allez en trouver un de sérieux, si vous ne finissez pas ce que je vous donne !
Perceval Ah là là, mais ça me soûle, ça...
Nonna Vous voulez une claque dans le museau ?
Perceval Je vais vous dire... si un jour je change de coéquipier, j'en prendrai un qui pense pas qu'à bouffer !
Nonna En attendant, votre coéquipier, c'est moi ! Et si vous finissez pas votre repas... (remonte sa manche et mime une gigantesque gifle) je vous colle une tartine... allez, mangez !
Perceval (Sent la viande sur sa brochette et grimace, dégoûté.)
Abords du camp de Macrinus, jour. Karadoc, Lan et l'autre prisonnier sont toujours enchaînés, chacun à un arbre différent. Karadoc et Lan grattent la terre.
Karadoc (À Lan.) Alors, c'est un asticot ou pas ?
Lan J'en sais rien, il bouge pas !
Karadoc Hé, si c'est un asticot vous partagez, hein ?
Lan Putain, il bouge pas... je suis sûr que c'est un petit bout de bois...
Le prisonnier Et... c'est souple ?
Lan Quoi, « souple » ?
Le prisonnier Bah c'est souple comme un asticot ?
Lan Bah, non... c'est souple comme un bout de bois ! (Jette le bout de boit, agacé.)
Karadoc Bon quand est-ce qu'ils vont apporter de la bouffe ? C'est pas vrai !
Le prisonnier « Apporter de la bouffe »... (Pouffe de rire.) Hé, je suis là depuis deux jours de plus que vous et j'ai vu passer personne.
Karadoc Personne ? Mais, mais... mais comment vous avez tenu ?
Le prisonnier Bah en bouffant toutes les merdes qui étaient dans mon rayon. Des... des fleurs, euh... des mauvaises herbes... bah y avait une flaque d'eau croupie, j'ai tout fini.
Lan Ah les fumiers, ils vont nous laisser crever de faim ! Fumiers !
Taverne romaine, jour. Arthur, Licinia, Julia et Verinus sont à une table, à la terrasse d'une taverne, dans une ruelle. De nombreux badauds les observent en silence.
Verinus (Lève son verre.) Bon, bah allez à votre santé.
(Les autres ne réagissent pas.)
Verinus (Repose son verre.) Ou pas...
Arthur On boit à quoi ?
Verinus Bah j'ai envie de dire à ta promotion, mais je suppose que je vais encore me faire engueuler...
Arthur Oui, y a des chances, oui.
Verinus Voilà. Donc à part à votre santé, je... vois pas bien, là.
Licinia Non mais au bout d'un moment, qu'est-ce qui te gêne ? Un grade pareil, y a des soldats qui en rêvent toute leur vie sans jamais que ça leur arrive !
Julia T'es pas fier ?
Arthur Non.
Julia Mais pourquoi ?
Arthur Mais parce que... j'aime pas, la façon dont ça s'est passé, je veux dire normalement je devrais pas être dux ! C'est impossible !
Verinus Non. Moi, c'est impossible, que je sois dux. Toi t'es soldat, quand même !
Arthur Mais les soldats deviennent pas dux ! Les soldats ils deviennent centurion, au mieux. Voilà.
Licinia Ouais bah quand t'es devenu centurion, tu faisais déjà la gueule.
Arthur (Souffle, agacé.) Bon, écoute... voilà, moi ce que j'aimerais, c'est boire un coup, comme avant, et puis surtout, tu vois... penser à autre chose.
(Une patrouille de soldats passe dans la ruelle et salue Arthur d'un « ave, Général ».)
Arthur (Se lève et part, furieux.)
Verinus Non mais attends, mais... mais ils ont pas fait exprès !
Julia (Se lève et court après Arthur.)
Quartiers pauvres, jour. Arthur marche, agacé. Julia le poursuit.
Julia Attends... attends !
Arthur Ah non non, mais... non mais... ça me gonfle.
Julia Je te signale que Verinus, c'est quelqu'un de très bien !
Arthur Mais j'ai jamais dit le contraire !
Julia Oh, bah alors d'accord, il a balancé Manilius, mais c'est parce qu'on lui tapait dessus, il a pas eu le choix !
Arthur Mais j'ai jamais parlé de ça, moi !
Julia Alors c'est vrai, d'accord, il est peut-être pas, euh... dux machin-truc... mais il a un très bonne situation ! Et je te signale qu'il me fait du gringue.
Arthur (Comprenant le petit jeu de Julia.) Ah, d'accord, oui...
Julia Non bah parce que moi, je t'attends, je t'attends, je t'attends, mais je vois jamais rien venir. Alors si je finis par accepter ses avances, tu viendras pas faire le malheureux !
Arthur Non.
Julia Quoi, « non » ?
Arthur Non, si tu finis par accepter ses avances, je viendrai pas faire le malheureux.
Julia Mais bon. Si tu veux te marier avec moi, t'as toujours la priorité, je veux bien être la femme d'un général.
Arthur Non bah non non non, non, moi tu sais, je... je ne désire que ton bonheur, voilà.
Julia Je vais te dire, hein... depuis qu'on t'appelle « Général », là, t'as vraiment pris une sale mentalité. (Part.)
Arthur (Reprend son chemin.)
Ferme de Bohort, jour. Lionel tient sa femme par les épaules.
Lionel (S'approche de Bohort Père.) Père. Ne vous tracassez plus. Je pars chercher mon frère et vous le ramènerai vivant. J'en fais le serment. (Fait un pas et glisse sur une bouse.) Ah ! À moi ! J'ai glissé sur une bouse ! Ah, ma jambe, ma jambe ! Ah ! Doucement, doucement...
Bohort Père (Regarde dans le lointain, impassible.)
Villa Aconia, soir. Arthur et Drusilla sont assis sur un divan, pensifs.
Arthur Il faut que je la voie. Drusilla, s'il te plaît, c'est important.
Drusilla C'est important pour qui ?
Arthur Pour moi.
Drusilla Ah oui... pour vous, peut-être.
Arthur Je peux pas... hein ? Voilà. Je peux pas simplement plus la voir, comme ça, d'un seul coup, ça n'a pas de sens.
Drusilla Quand on tient aux gens, on trahit pas leur confiance.
Arthur Bien sûr que si !
Drusilla Comment ça « bien sûr que si » ?
Arthur Bien sûr que si ! De qui d'autre est-ce que tu veux que je trahisse la confiance, moi ? Qui d'autre me la donne, sa confiance ? J'ai qu'elle à trahir.
Drusilla Faut que vous partiez.
Arthur Non. Alors là je m'en fous, je partirai pas, je veux la voir !
Drusilla Pourquoi ?
Arthur Parce que je vais pas bien.
Drusilla Bah elle non plus, elle va pas bien.
Arthur Bah alors justement, pourquoi est-ce qu'elle me parle pas ? Enfin... mon Dieu, à moins de buter un autre chef ostrogoth au milieu de son atrium, je vais pas lui faire plus de mal que je lui en ai déjà fait !
Drusilla (Soupire.) Qu'est-ce que je lui dis ?
Arthur Que je veux la voir !
Drusilla Elle voudra pas !
Arthur Que je vais pas bien ! Que je pleure !
Drusilla Vous pleurez pas...
Arthur Si, je pleure !
Drusilla Ah non, vous pleurez pas.
Arthur Euh... j'ai envie de pleurer ! Hein ? Voilà ! Après, est-ce que c'est bloqué, euh... est-ce que je sais ?
Drusilla (Se lève en soupirant et part, puis revient après un moment et se rassoit.) Elle, euh... je sais pas si elle a envie de pleurer, mais elle pleure, hein... pour de bon. Vous pouvez y aller.
Arthur (Commence à se lever.)
Drusilla (Attrape le bras d'Arthur.) Et soyez gentil de pas en remettre en couche. Vous avez fait assez de mal comme ça.
Arthur (Se lève et part.)
Abords de la ferme de Bohort, soir. Bohort Père observe la forêt, pensif.
Chambre d'Aconia, soir. Aconia est assise sur son lit, prostrée. Arthur est assis sur une chaise curule.
Aconia J'ai fait mon travail, moi. Je t'ai fait lire, je t'ai fait écrire, je t'ai appris l'algèbre, je t'ai emmené au théâtre, je t'ai expliqué tout ce que je savais sur Rome. Je vois pas ce qui me reste à faire.
Arthur C'est tout ?
Aconia Quoi, « c'est tout » ?
Arthur C'est pour ça que vous pleurez, parce que vous avez fini votre travail ?
Aconia Voilà.
Arthur Et aussi parce que j'ai buté un gros con dans votre atrium.
Aconia Voilà.
Arthur Y a rien d'autre ?
Aconia Non.
Arthur Vous voulez pas de câlin ?
Aconia Non.
Arthur Non. Vous voulez que je m'en aille ?
Aconia Non.
Arthur Non plus. Alors oui, très bien, donc je vais où ?
Aconia Là, sur le fauteuil.
Arthur Sur le fauteuil...
Taverne, nuit. Perceval, Nonna, Hervé de Rinel et le tavernier sont assis à une table et jouent.
Hervé de Rinel (Lance les dés.)
Perceval Bah alors ? Vous dites pas « cul de chouette » ?
Hervé de Rinel Cul de chouette.
Perceval Ouais mais non... faut être sur le coup, là ! C'est pas à moi de faire vos annonces à votre place !
Nonna Surtout que c'est pas le moment... on n'annonce pas un cul de chouette après une relance de quatorze.
Perceval Bah si ! Ça change rien, ça !
Nonna Quoi ?
Le tavernier Non non non, vous engueulez pas...
Nonna (À Perceval.) C'est moi qui vous ai appris à jouer, et maintenant vous allez me dire comment on fait ?
Perceval « Cul de chouette », on l'annonce à chaque fois !
Le tavernier Euh... peut-être que vous jouez aux règles à l'aquitaine !
Nonna (Feignant de sourire.) « Aux règles à l'aquitaine »... (Perdant son sourire.) C'est des claques dans le pif, que vous cherchez, vous ?
Le tavernier Ah mais non, mais je dis ça parce que je vois que vous êtes pas d'accord avec votre petit-fils, alors...
Nonna On n'est jamais d'accord, avec mon petit-fils !
Perceval Non mais c'est les règles du pays de Galles ! « Cul de chouette », on l'annonce quand on veut !
Nonna (Se lève.) Hé ben vous jouez comme vous voulez, vous inventez vos règles si ça vous chante, moi j'en ai marre ! Je rentre au pays de Galles ! Vous vous débrouillerez sans moi ! (Part.)
Perceval Non mais Mamie, arrêtez !
Nonna Zut !
Perceval Vous allez pas partir maintenant, il fait nuit noire !
Nonna Zut !
Hervé de Rinel (Lance les dés.) Et là, je passe mon tour ou on change de sens ?
Perceval Zut ! (Se lève et part à la suite de sa grand-mère.) Mamie !
Hervé de Rinel (Lance les dés.)
Le tavernier (Désignant le jeu, dépité.) Mais oui, non mais là... (Hausse les épaules.)
Chambre d'Aconia, nuit. Arthur et Aconia sont au lit, dénudés.
Aconia (Se redresse et s'assoit au bord du lit, puis attache ses cheveux.)
Arthur (Caresse doucement la nuque d'Aconia.)
Aconia Pourquoi tu n'y arrives pas ?
Arthur Je sais pas.
Aconia Ça t'est déjà arrivé ?
Arthur Je sais plus.
Aconia Si, tu sais.
Arthur (Soupire, se redresse et s'approche d'Aconia.) Non, ça ne m'est jamais arrivé avant.
Aconia Je sais pourquoi.
Arthur Ah oui. Et pourquoi ?
Aconia C'est la différence d'âge.
Arthur Voilà. J'en étais sûr.
Aconia C'est pas vrai, peut-être ?
Arthur Non, c'est pas vrai.
Aconia Si, c'est vrai. Avec tes copines, tu y arrives très bien...
Arthur Oui mais... vous êtes pas ma copine. Quand je suis ici avec vous... dans cette grande maison... chez les riches... j'ai l'impression d'avoir trop de chance. Je mérite pas de coucher avec vous.
Aconia Tu mérites pas ?
Arthur Non, je mérite pas. Je vous mérite pas, vous.
Aconia Qu'est-ce que le mérite vient faire là-dedans ?
Arthur Écoutez, vous me posez une question, j'essaie de répondre. En tout cas... c'est pas la différence d'âge. (Prend Aconia dans ses bras.)
Abords du camp de Macrinus, jour. Karadoc, Lan et l'autre prisonnier sont toujours enchaînés aux arbres. Un légionnaire arrive avec un seau d'épluchures.
Cordius (Au légionnaire.) Oh ! Hé ! Dis donc... ça va ? Euh... quand je dis « Tout le monde devant la tente de commandement »... ça marche aussi pour toi !
Le légionnaire Mais je vais juste jeter des épluchures !
Cordius Oui ! Et tu veux les jeter où, tes épluchures ? En Germanie ? (Ricane.) Balance-moi tes saloperies, et radine sur-le-champ. (Imitant un accent germain.) Parce que quand je dis « tout le monde »... hé ben c'est tout le monde !
Le légionnaire (Vide le contenu de son seau devant Lan et retourne vers le camp.)
Cordius Tu es gentil. (Retourne vers le camp.)
Lan (Se rue sur les épluchures pour les manger.)
Karadoc Hé ! Faites péter, oh !
Lan (Ignore Karadoc.)
Karadoc Balancez-en par ici, qu'est-ce que vous foutez ?
Lan (Ignore Karadoc.)
Karadoc Par là ! Vous allez pas nous laisser crever !
Le prisonnier De toute façon, j'aurais pas la force de mâcher.
Lan (Ramène les épluchures vers lui, à la façon d'un petit animal craintif.)
Chambre de Caesar, matin. Caesar est allongé, Helvia lui épluche une pomme. Arthur fait les cent pas devant eux.
Arthur (D'une voix forte.) J'en ai plein le dos, de leurs conneries ! J'ai rien demandé, moi ! J'emmerdais qui, à l'urbaine ? Personne !
Helvia Oh, arrêtez de crier, hein...
Caesar (À Helvia.) Laissez-le... oh...
Arthur Arturus, centurion ! Arturus, dux bellorum ! Je suis chef de guerre, j'ai jamais donné un ordre à personne, j'ai même pas eu le temps !
Helvia Chut ! Du calme, arrêtez de crier, vous êtes dans la chambre de Caesar !
Caesar (À Helvia.) Ouais, mais non... vous aussi vous êtes dans la chambre de Caesar, pourtant dès qu'il s'agit de l'ouvrir...
Arthur (À Helvia.) Tiens bah tenez, vous, par exemple ! Hé ben depuis que je suis dux, vous savez pas ? Vous avez même plus le droit de m'adresser la parole !
Helvia Quoi ? (À Caesar.) C'est vrai ?
Caesar Ah oui, c'est vrai. Cela dit, normalement, vous avez pas le droit de m'adresser la parole à moi non plus. Bon, bah... mettons que vous avez une dérogation, parce que...
Arthur Je mérite pas, d'être chef de guerre. Je mérite pas d'être centurion, je mérite même pas de faire son boulot, à celle-ci qui passe ses journées à vous torcher le cul !
Helvia Ça suffit maintenant, hein !
Caesar Ah bah oui, là quand même, euh... hé oh...
Helvia Dux bellorum ou pas, s'il faut vous sortir de cette chambre par la peau du cul, j'ai besoin de personne !
Caesar Écoute-moi, Arturus.
Arthur Non.
Caesar Écoute-moi bon sang !
Arthur Je mérite pas d'être chef.
Caesar Mais... on devient pas chef parce qu'on le mérite, andouille ! On devient chef par un concours de circonstances, on le mérite après. Moi il m'a peut-être fallu... dix ans, pour mériter mon grade. Si pas vingt. Parce que... tous les jours, j'ai travaillé, pour pas nager dans mon uniforme. Hé, y a pas trente-six solutions... Arturus, hein, hein... fais semblant. Fais semblant d'être dux ! Fais semblant de mériter ton grade ! Fais sembler de... d'être un grand chef de guerre ! Si tu fais bien semblant... un jour tu verras, t'auras plus besoin.
Arthur (Recommence à faire les cent pas.)
Caesar (Saisit la pomme épluchée par Helvia et fait discrètement signe à celle-ci de se taire.)
Ferme de Bohort, jour. Le neveu d'Urgan, vêtu d'une tenue neuve, narre aux proches de Bohort les exploits de ce dernier.
Le neveu d'Urgan Et le valeureux Bohort, de sa fière épée, a mis en fuite la redoutable bande armée qui menaçait le peuple de Gaunes !
(Les proches de Bohort acclament et applaudissent.)
Evaine (Rayonnante.) Oh ! Mon Dieu, pourquoi ne rentre-t-il pas ?
Bohort Père Mais... il fête sa victoire dans quelque taverne !
Lionel Mais est-il possible ?
Bohort Père Comment, « est-il possible » ? Puisqu'on le vient nous dire jusque sous notre nez !
Le neveu d'Urgan Partout, les gens colportent que le seigneur Bohort est le plus redoutable vengeur que le pays ait connu !
Bohort Père Magnifique !
Evaine Oh c'est magnifique !
(La femme de Lionel, honteuse de son mari, se détourne de lui et rentre dans une hutte.)
Lionel (Amer.) Oui... magnifique !
Bohort Père Allez ! Que l'on prépare sur le champ une fête en l'honneur de mon digne héritier ! Pour Bohort !
(La foule crie « hourra ! ».)
Le fermier de Gaunes Pour Bohort !
(La foule crie « hourra ! ».)
Bohort Père Pour Bohort !
(La foule crie « hourra ! » et applaudit.)
Abords du camp de Macrinus, jour. Karadoc, Lan et l'autre prisonnier sont toujours enchaînés aux arbres. Lan est assis, les deux autres sont étalés, à moitié inconscients. Macrinus et Cordius se tiennent entre eux.
Macrinus (Hurlant, à Cordius.) Tu me vires tout ça ! Je veux pas voir un mec crever au milieu du chemin ! Tu les pends ! Proprement.
Cordius Oui, mais... le truc, c'est que ce matin je suis tout seul pour les emmener à la potence... (désigne Karadoc) et alors, celui-là il est tellement faible qu'il tient à peine sur ses jambes... (désigne l'autre prisonnier) et puis l'autre là-bas, c'est pareil !
Macrinus (Donne de petits coups de pied à Karadoc pour tenter de le réveiller, puis désigne Lan.) Celui-là, là... il tient pas sur ses jambes, non plus ? Hein ?
Cordius Non non, mais celui-là, euh... peut-être, si. Si si, à la limite, euh...
Lan Attendez... j'ai l'air en forme comme ça, mais je me sens pas super bien, j'ai trop bouffé !
Macrinus Bon bah lui tu le pends ! Proprement ! Les deux autres, là, euh...
Cordius Oui bah alors, les deux autres... je peux pas les laisser simplement crever, hein, et dès que j'ai deux légionnaires sous la main, je leur dis de les cramer...
Macrinus (Exaspéré.) Ça va...
Cordius ...et hop là, terminé !
Macrinus (Hurlant.) Ça va ! (Désigne Lan.) Mais celui-là tu t'en occupes. Je veux pas te voir glander. C'est compris ?
Cordius Oui, c'est compris...
Macrinus Allez ! (Part.)
Cordius (À Lan.) Debout.
Lan Je peux pas, je suis trop faible.
Cordius (Soupire.) Non mais... allez, mon pote, fais... fais un effort, euh... dans dix minutes t'es pendu, et pfft, on n'en parle plus !
Lan (Se lève à contrecœur.)
Forêt, jour. Urgan et ses hommes essaient leurs nouvelles tenues, Bohort les observe.
Bohort Ah écoutez... je suis content ! Vraiment, on a un beau résultat !
Urgan Mmh. J'avoue que je suis un peu surpris, quand même... c'est vrai que ça change pas mal par rapport à... à l'accoutrement antécédent...
Bohort Mais vous allez vous y faire ! C'est normal, au début, l'étoffe est raide !
Urgan En revêche, je suis assez satisfait par l'esprit camouflage. C'est vrai que quand on en parlé, patatras, je l'ai pris pour un camouflet !
Bohort Je peux vous dire que ça n'a pas été facile de marier le confort, la discrétion, et le style ! Vous pouvez être sûrs que vous ne retrouverez pas ça chez tout le monde.
Urgan (Faisant de grands mouvements.) Non mais c'est vrai qu'on... bon... on peut effectuer des mouvements... sans gêner le mouvement...
Le neveu d'Urgan (Arrivant.) Ça y est ! Tout le monde est au courant ! Les gens sont très émus, surtout votre père.
Bohort J'y vais ! Et... vous me ferez le plaisir de tenir votre parole ! Partout où vous passerez...
Urgan Oui, partout où nous passerons, nous raconterons que le redoutable Bohort le jeune nous a mis hors de ses terres. Et qu'on ne nous y reprendra plus, tant la leçon fut amère ! Et c'est un prompt renfortSans doute une référence à la célèbre phrase du Cid, de Corneille : « Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. ».
Bohort Parfait.
Le neveu d'Urgan Et, euh... si on nous demande qui c'est qui a fait les habits, on répond ?
Bohort Mais non, voyons !
Urgan Ah oui, euh... une dernière chose, vous préférez « Bohort le jeune », ou « Bohort l'ami du raisin » ? Parce que j'ai réfléchi sur la deuxième possibilité, ça fait plus fruité... mais c'est vous qui voyez.
Bohort Tenons-nous-en à notre première version.
Urgan Fidélité est mère de raison... boum !
Bohort Adieu ! (Part.) Et surtout, insistez sur ma sauvagerie !
Urgan (Fait une révérence à Bohort.)
Abords du camp de Macrinus, nuit. Lancelot tente de réveiller Karadoc.
Lancelot Hé ! Hé ! Allez, faites un effort, réveillez-vous !
Karadoc (Se réveillant péniblement.) Qui c'est ?
Lancelot Je viens de vous détacher. Il faut que vous partiez tout de suite. (Donne une gourde à Karadoc.)
Karadoc (Boit avidement.) Et Lan ?
Lancelot Quoi ?
Karadoc Lan, un Chinetoque...
Lancelot Je sais pas si ça a un rapport, mais... un jeune homme asiatique est pendu derrière le camp. Quant à votre copain, là-bas... je l'ai détaché mais il tient pas debout, faut que je le prenne sur le dos. Seulement je peux pas en porter deux. Alors il faut vous lever, mon petit père. Allez, vous pouvez le faire ! Faites un effort ! Vous allez y arriver.
Karadoc (S'assoit tant bien que mal.)
Lancelot Vous vous souviendrez ? Je m'appelle Lancelot du Lac. Lancelot du Lac, et je vous ai sauvé la vie.
Karadoc Lancelot du Lac ?
Lancelot Voilà. N'hésitez pas à raconter ça partout où vous passez. Hein ? Maintenant tirez-vous, allez, avant qu'un Romain arrive. Vous marchez pas sur les sentiers ! Passez par la forêt. Allez filez. (Part en direction de l'autre prisonnier.)
Karadoc (Rampe vers la forêt.)
Sudatorium, jour. Sallustius et Servius sont assis en face de Pisentius, Flaccus, Desticius et Lurco. Sallustius tient une tablette de cire. Desticius a toujours la tête entourée d'un gros bandage ensanglanté.
Flaccus Comment ça, on passe notre vie là-dedans ?
Desticius Le sudatorium, c'est fait pour se détendre. Sauf qu'à encaisser les conneries de Monsieur Sallustius à longueur de journée, il faut en rajouter deux couches, de sudatorium !
Flaccus Moi je me sens pas totalement détendu, hein... bon ça va mieux, mais c'est pas encore ça...
Servius Et euh... en vous cognant dessus avec un gros bâton, comme pour la bidochebidoche (n.f.) Viande
En savoir plus
, ça vous détendrait pas la gueule un bon coup, ça ?
Lurco Sallustius, dis à ton animal de compagnie d'arrêter de nous menacer.
Pisentius On pourrait peut-être très bien le donner aux lions du cirque, hein, ça lui apprendrait à respecter ses supérieurs...
Servius Supérieurs de mes deux.
Desticius Et allez, ça repart !
Sallustius Non non non, ça ne... ça repart pas forcément, ça peut même être très court... non, il suffit que... vous bricoliez une petite signature là-dessus, (brandit la tablette) et hop ! Je vous laisse transpirer tranquilles !
Flaccus Encore un truc à signer ? Mais on n'arrête pas de t'en signer, des trucs et des machins, là...
Desticius Il est pas dux bellorum, ton petit chouchou ? On l'a pas déjà signée, ta dernière lubie ?
Sallustius Si si, il est dux bellorum, mais maintenant il faudrait qu'il soit dux totius Britanniae...
(Pisentius, Flaccus, Desticius et Lurco éclatent de rire.)
Pisentius Non mais c'est pas possible ! Hein ? Il faut que t'ailles faire des soins !
Lurco Hé ! Hé tu préférerais pas le bombarder directement empereur ? Ah bah... c'est vrai, qu'est-ce que tu vas t'emmerder avec les grades intermédiaires, après tout ?
Flaccus Tiens, moi... j'ai un petit neveu qui passe un cap difficile. Ma sœur se plaint que... toute la journée il se tripote le zizi. Hé ben hé ! Suffirait de le coller général ou sénateur, ça l'occuperait !
(Pisentius, Flaccus, Desticius et Lurco éclatent de rire.)
Servius Remarquez, hein... on peut être sénateur et continuer à se tripoter le zizi. Moi j'en connais qui font les deux.
Sallustius (À Servius.) Non, attends, attends... (Aux sénateurs.) Euh... il faut qu'il soit dux totius Britanniae... parce que ça fait partie de la manœuvre, bande de pedzouilles. Pourquoi est-ce que je fais ça ? Non non, mais... attendez, écoutez-moi bien, pourquoi est-ce que je fais ça ? Pour récupérer la Bretagne. Hein. Et pour récupérer la Bretagne, il faut que le petit soit chef de toute la Bretagne. Dux... totius... Britanniae... merde.
Desticius Mais... mais y en a marre, il passe trois grades par semaine, ton petit merdaillon !
Servius Qu'est-ce que ça peut vous foutre ?
Sallustius Attends, attendez. (Rit.) Attendez. C'est une question de mérite, c'est ça ? Hein ? Il ne le mérite pas, c'est ça ?
Lurco Non.
Pisentius Euh... enfin, il... il ne le mérite pas. Non, ça, il le mérite pas.
Sallustius (Rit longuement.) Alors... alors là... excusez-moi, euh non mais c'est... hé, je vais vous poser une question simple : et vous, vous le méritez ? Ah non mais répondez, est-ce que vous le méritez, vous ? Est-ce que... est-ce que vous méritez votre place ? Lurco. Tu devais aller en Germanie. C'est ta tante qui t'a fait entrer au Sénat. Pisentius ! Pas une seule année dans la légion, pas une seule ! Je me demande même parfois si t'as tenu déjà une arme, dans ta vie. Desticius. C'est ton père qui a donné la moitié de ses terre, pour que quelqu'un puisse prendre ta place en Afrique. C'est vrai ou c'est pas vrai ? Vous êtes tous des planqués. Tous, tous, tous, tous, tous.
Flaccus Euh... et moi ?
Servius Quoi, toi ?
Flaccus Bah je sais pas, il parle pas de moi. Parce que dans le genre planqué, je peux vous dire que... (Rit.)
Sallustius Vous allez me signer cette tablette.
Servius Et on a besoin de votre accord pour affréter un trirème.
Pisentius Un trirème ?
Flaccus Un trirème ?
Desticius Un trirème ?
Lurco Un trirème ?
Servius Un trirème ! Mais parce qu'il va en Bretagne, le gamin ! Il va pas y aller à la nage, non ? Ah non, faut que ça ait un petit peu de gueule, quand même, non ?
Sallustius Vous allez me signer cette tablette... (se lève) et vous allez me la signer... maintenant. (Jette la tablette à Lurco.) Parce que le petit mérite son grade largement autant que vous méritez votre place. Largement. (Part.)
Lurco Quand même, euh... il est costaud, là, pour les sorties dramatiques, hein ? Ah ouais non, parce que... à chaque fois ça... ça a une gueule, euh...
Desticius Ouais bah ça...
Lurco Hein ?
Flaccus Ouais non, ça... ça a de la gueule !
Pisentius Et puis y a...
Desticius Non y a... ouais ouais, y a une force, y a un truc...
Pisentius Ça vient de l'intérieur...
Flaccus C'est surtout dans le...
Lurco Ouais... parce que par exemple, il revient et puis il refait, euh...
Taverne, jour. Karadoc arrive, hagard. Perceval est à une table, le tavernier fait le service.
Karadoc (À la cantonade.) À bouffer ! À bouffer, à bouffer, à bouffer ! (S'assied à une table qui jouxte celle de Perceval et commence à manger ce qui s'y trouve.) Vous inquiétez pas, je paierai tout. Ah... patron ! Tout ce qu'il y a sur la table, multiplié par six, et au trot !
Le tavernier Ça marche !
Karadoc Ah, je vais vous dire... le mec qui a décidé de me dessouder les miches de ce tabouret, je lui souhaite bien du courage ! Redonnez-moi l'autre... il est moins bon, celui-là. Il a moins de noisettes.
Perceval (Se retourne.) Il en a pas moins !
Karadoc (Se retourne vers Perceval.)
Perceval Quand vous coupez une tranche, si vous additionnez les éclats de noisettes, vous arrivez à une moyenne de une quarante. Si vous faites vingt-cinq tranches dans le même saucisson, en tenant compte que les tranches des extrémités sont plus petites, vous avez entre trente-deux et trente-quatre noisettes par saucisson.
Karadoc Pourtant, on aurait dit qu'il avait moins de noisettes !
Perceval Il en a le même nombre que les autres ! Parce que la farce est la même pour tous les saucissons. Avec une moyenne de trente-deux à trente-quatre noisettes par pièce. Seulement avec le hasard de la coupe, euh... vous êtes tombé sur une tranche où les éclats étaient mal répartis.
Karadoc Du coup, je peux taper dans les deux ?
Perceval Ouais ouais. Faites-moi confiance.
(Perceval et Karadoc se retournent vers leur table respective.)
Karadoc (Continue à manger et boire, puis se retourne vers Perceval.) Hé, merci hein !
Perceval (Se retourne et tente de faire un clin d’œil à Karadoc.)
Couloir de la caserne, jour. Papinius est au sol, au milieu des autres miliciens, et tente de faire des pompes. Glaucia et Procyon le regardent faire.
Glaucia Allez ! Tu finis ou c'est le fouet ! T'entends, Papinius ?
Papinius (À bout de forces.) Je peux plus...
Procyon Si tu peux plus, c'est le fouet !
Manilius Foutez-lui la paix, vous voyez pas qu'il va crever ?
Glaucia Ta gueule, Manilius ! Si tu l'ouvres encore une fois je te fais pendre ! Méfie-toi bien parce que j'attends que ça.
Procyon Et moi aussi.
Glaucia Allez Papinius !
Papinius (En sanglots.) Je peux pas !
Glaucia Allez !
Arthur (Arrive.) Debout.
(Caius et Falerius relèvent Papinius.)
Arthur (À Glaucia.) J'ai l'air un peu con de le dire moi-même, mais comme personne le fait... tu me salues plus, toi ?
Glaucia Ave Arturus.
Arthur (À Glaucia et Procyon, à voix basse.) Quand je dirai « soldat »... vous lèverez la main. Tous les deux. (À Papinius.) Combien tu peux faire de pompes ?
Desticius Maintenant ?
Arthur Oui, maintenant.
Caius Si il refait une pompe, là, ça sera sa dernière...
Manilius Tu vas pas lui faire faire des pompes...
Arthur Non mais je te pose une question simple. Tu me réponds ce que tu penses. Combien tu peux faire de pompes, c'est quoi ton maximum ?
Papinius Ben... une.
Arthur Une.
Papinius Une.
Arthur Bon. Fais-en deux.
Papinius Deux ?
Arthur Deux. Deux belles, hein. Deux vraies, jusqu'en bas et tout. Allez, détends-toi, respire.
Falerius Allez défonce-toi !
Manilius C'est maintenant, mec !
Caius Allez, tu mets tout dans ces deux pompes, là, hein ?
Papinius (Se met en position et fait une pompe.)
Arthur Une !
Papinius (Fait une deuxième pompe.)
Arthur Deux ! Repose.
Papinius (Se laisse tomber par terre.)
Arthur Deux fois plus de pompes que son maximum. Deux fois plus. Qui, comme moi, pense que Papinius a tout ce qu'il faut en lui pour devenir un grand soldat ?
(Glaucia et Procyon lèvent la main.)
Arthur (À Papinius.) Tiens, tu vois, même eux ils le savent... (À Glaucia.) Ça fait combien de temps que t'es pas foutu de les monter, les deux pompes, toi ? (Part.)
Villa Aconia, jour. Arthur pénètre dans l'atrium, où se trouve Drusilla.
Aconia (Sortant du couloir menant au péristyle.) Tiens ? On peut plus se passer de moi ?
Arthur Précisément. J'ai bien réfléchi.
Aconia À quoi ?
Drusilla Ça me concerne, ou il faut que je sorte ?
Arthur Ça vous... concerne pas précisément, non.
Drusilla Je sors ?
Arthur Non mais attendez, c'est tout con...
Drusilla Je sors ou je sors pas ?
Arthur J'en sais rien. Voilà. Donc j'ai bien réfléchi. Et je suis venu... vous demander en mariage.
Aconia Ah !
Drusilla Oh ! Oh le con !
Aconia Drusilla.
Drusilla Oh le con, le con, le con !
Aconia Drusilla...
Drusilla Oh non mais qu'il est con !
Aconia Non mais laisse-le parler !
Arthur Enfin je vois pas pourquoi je serais spécialement con...
Drusilla Ah non là, là... ça, vous êtes spécialement con !
Aconia Drusilla, c'est un général, quand même...
Drusilla Ah non mais oui, mais là... oh le débile !
Arthur Mais pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a de débile, au bout d'un moment ? Je vous aime, je pense à vous... tout le temps... ah oui alors d'accord, oui alors d'accord. Oui oui, ça va, ça va, qu'est-ce qu'il y a, c'est la différence d'âge, c'est ça ?
Drusilla « La différence d'âge », oh le petit con !
Aconia Drusilla, ça suffit.
Drusilla Ah oui, ça suffit !
Aconia Ça suffit ! (À Arthur.) Je suis déjà mariée.
Arthur (Perplexe.) Vous êtes... déjà mariée ?
Aconia (Acquiesce.)
Arthur D'accord... tout à fait... très bien, et votre mari, il est... où ?
Aconia Pas là.
Arthur Pas là.
Aconia Je suis désolée.
(Noir.)
Drusilla Oh le con...
(Stab final.)
(Fermeture.)