Chambre d'Arthur, nuit. Arthur et Guenièvre sont au lit. |
Guenièvre |
Je me prépare pour un rôle. |
Arthur |
Un rôle de quoi, sans indiscrétion ? |
Guenièvre |
Cassandre. Cassandre la folle ! Nous interprétons une scène des Troyennes demain au cercle des femmes d'État. Et j'ai fait quelques essais de costumes et de coiffures. |
Arthur |
Ah non mais c'est probant... et à part bouffer des tartes aux figues et jouer des trucs pourris, vous faites quoi de capital à votre cercle ? |
Guenièvre |
Les Troyennes ? Vous appelez ça des trucs pourris ? |
Arthur |
Ah bah ça peut vite en devenir, en tout cas, oui. |
Guenièvre |
(Hautaine.) Mais vous n'y connaissez rien... (Ricane.) Occupez-vous donc de votre Graal et laissez le théâtre à ceux que ça concerne ! |
Arthur |
Je vous rappelle quand même qu'au-delà de la reine d'Irlande et de cette grosse pouf de duchesse de Calédonie, le théâtre ça concerne aussi le public ! |
Guenièvre |
Mais de quoi je me mêle à la fin ? Je croyais que vous aimiez pas le théâtre, de toute façon ! |
Arthur |
Bah évidemment que j'aime pas le théâtre, (désigne la chevelure de Guenièvre) regardez ce qu'on y trouve ! (Souffle avec mépris.) |
Chambre d'Arthur, nuit. Arthur est au lit. Guenièvre, debout, interprète une scène. |
Guenièvre |
(Gesticule, perdue, agitant les mains devant elle.) |
Arthur |
(Lève les yeux au ciel et soupire.) |
Guenièvre |
Quoi, qu'est-ce que vous soupirez, j'ai encore rien dit ? |
Arthur |
Non, mais déjà sans rien dire, c'est chiant. |
Guenièvre |
Cassandre est une folle, j'interprète la folie, je vois pas ce qu'il y a de chiant ! |
Arthur |
Mais Cassandre c'est pas une folle, déjà. Je veux dire c'est une pythie. |
Guenièvre |
Quoi ? |
Arthur |
C'est une pythie ! Un médium quoi, c'est... elle voit l'avenir. Les Troyennes d'Euripide, hein, on parle bien des mêmes ? |
Guenièvre |
Oui mais bon, euh... un médium on peut bien considérer qu'elle est un peu... (Agite sa main vers sa tempe.) Non ? |
Arthur |
Ouais... oui oui, enfin encore une fois je vois pas le rapport, mais bon alors mettons, d'accord, OK, elle est folle. Et alors ? |
Guenièvre |
Et alors quoi ? |
Arthur |
Et alors c'est... voilà ? C'est tout ce que vous avez trouvé. C'est ça tout le crédit que vous donnez aux fous, ils sont dépeignés. Vous en connaissez des fous ? |
Guenièvre |
Je sais pas... des vrais fous ? |
Arthur |
Mais qu'est-ce ça veut dire ça, « des vrais fous », enfin... les fous, ils sont fous par rapport à une norme ! Mais pour eux-mêmes c'est les autres qui sont fous. Au théâtre ça existe pas les fous ! |
Guenièvre |
Non mais qu'est-ce que je joue, moi, alors ? |
Arthur |
Cassandre, son problème, au delà d'être médium, c'est que Apollon lui a craché dans la bouche pour lui ôter tout pouvoir de persuader. Mettez-vous à sa place ! Elle sait des trucs, mais elle peut en persuader personne ! |
Guenièvre |
D'accord, mais ça me dit pas ce que je joue, hein ! |
Arthur |
Bon, on va essayer un truc. Je vous donne dix secondes pour me persuader que vous ne m'avez pas épousé par intérêt. |
Guenièvre |
Comment ? |
Arthur |
Faites ce que je vous dis. Attention, vous avez le droit qu'à une seule phrase. Top ! |
Guenièvre |
(Réfléchit intensément, inquiète et perdue.) |
Arthur |
Voilà ! Ça suffit. |
Guenièvre |
Quoi ? Mais... j'ai même pas répondu... |
Arthur |
Vous avez vu l'œil que vous aviez pendant que vous cherchiez ? Cette sensation que quoi que vous allez dire vous serez pas crue ? Moi je pense que vous devriez chercher plutôt par là. Et aller vous repeigner. |
Chambre d'Arthur, nuit. Arthur et Guenièvre sont au lit. |
Guenièvre |
Tout à l'heure j'étais toute contente de jouer demain, et maintenant je suis à deux doigts d'annuler. |
Arthur |
Ça vous parait exagéré, ce que je vous dis ? |
Guenièvre |
Ben disons que vous devez sûrement avoir raison mais... (Soupire.) À ce compte-là, à chaque fois qu'on monte une pièce, faudrait travailler pendant des mois alors ! |
Arthur |
Euh oui, y en a qui le font. |
Guenièvre |
Oui mais moi c'est juste comme ça... |
Arthur |
Mais écoutez non mais faites-le, faites-le, votre truc, oh écoutez, moi ce que j'en dis hein... |
Guenièvre |
À la limite, je garde la gestuelle et j'enlève la coiffure. |
Arthur |
La gestuelle ? Quelle gestuelle ? |
Guenièvre |
Bah la gestuelle de la folle ! |
Arthur |
(Imite la gestuelle que Guenièvre avait adoptée.) Le truc avec les mains là ? Oh non mais vous déconnez... |
Guenièvre |
Quoi ? Ça non plus ça va pas ? |
Arthur |
Mais « ça va pas », c'est de la merde enfin, depuis quand les fous ils avancent en crabe ? Alors à ce compte-là ceux qui sont sains d'esprit vous les jouez comment ? Tout raides ? |
Guenièvre |
(Criant de plus en plus.) Vous êtes vraiment un emmerdeur ! |
Arthur |
Allez vous peigner ! |
(Fermeture.) |