La Fête De L'Hiver
❰ Livre I – épisode 83 ❱
Chambre de Léodagan, soir. Séli et Léodagan sont au lit. | |
Séli | Ah au fait, vous savez pas la dernière des chrétiens ? |
Léodagan | Non. Des qui ? |
Séli | Des chrétiens. Soi-disant que pour fêter saint Jean... |
Léodagan | Fêter qui ? |
Séli | Saint Jean... c'est un évangéliste ou je sais pas quoi... il faut faire des feux. |
Léodagan | Des feux ? |
Séli | Voilà. Des grands feux. Les feux de la Saint-Jean. |
Léodagan | Bah c'est bon, les Saxons ont dit que dans trois jours, ils arrivaient pour cramercramer (v.) Brûler En savoir plus le château. Les feux, c'est pas ça qui va manquer. |
(Ouverture.) |
Salle du trône, jour. Arthur est assis sur son trône, Léodagan à côté de lui. Devant eux se tient Ygerne. | |
Ygerne | Je me suis inscrite au registre, j'ai attendu mon tour, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas être reçue ! |
Arthur | Mais parce que c'est pas le moment, mère... je travaille, là ! |
Ygerne | Vous n'êtes pas censé recevoir les doléances de votre peuple ? |
Arthur | De mon peuple, si, mais pas de ma mère ! |
Léodagan | Ici, c'est pas fait pour régler les problèmes privés. |
Arthur | En plus mère, sans blague, si vous voulez me dire quelque chose, vous savez où je me trouve ! Vous avez pas besoin de venir vous inscrire au registre ! |
Ygerne | Vous n'avez jamais le temps de parler ! |
Arthur | Mais parler de quoi ? |
Léodagan | Non mais sans blague, laissez-nous bosser ! Vous lui direz bien ce que vous voulez au repas de midi, hein ! |
Ygerne | Dois-je comprendre que vous déclinez ma requête ? |
Arthur | Mais c'est pas que je décline... |
Léodagan | Non, disons que c'est... c'est pas assez officiel, voilà. |
Ygerne | Alors j'ai l'honneur de vous apprendre que non seulement ma présence ici est parfaitement officielle mais que, de plus, je représente le peuple de Tintagel. |
Léodagan | (Regarde Arthur.) Ah bah... si en plus, c'est le porte-parole d'une minorité, je sais pas bien si on peut bien se permettre de refuser de l'entendre ! |
Arthur | Ben entendons-la alors... de toute façon, c'est ma mère hein, je vais pas la faire tabasser par la garde ! |
Salle du trône, jour. Arthur est assis sur son trône, Léodagan à côté de lui. Devant eux se tient Ygerne. | |
Ygerne | Je sens que vous ne m'écoutez que d'une oreille ! |
Arthur | Mais pas du tout ! |
Ygerne | Si ! Je vous connais quand vous avez cette tête-là ! |
Léodagan | Ah non, pas de trucs privés, s'il vous plaît hein ! |
Arthur | J'ai cette tête-là parce que je sais parfaitement ce que vous êtes venue me demander. |
Ygerne | Et par quel prodige, je vous prie ? |
Arthur | Mais c'est évident... la fin de l'automne approche, aha comme par hasard ! Ça va. Pas besoin de me faire un dessin. |
Léodagan | Qu'est-ce qui se passe à la fin de l'automne ? |
Arthur | La fin de l'automne, ça annonce le début de l'hiver. |
Léodagan | Et alors ? |
Arthur | Et alors, le début de l'hiver, à Tintagel, c'est la fête de l'hiver. Et ma mère me bassine depuis des années parce que j'y fous pas les pieds ! Voilà ! |
Léodagan | Vous êtes venue en séance de doléances pour demander à votre fils d'assister à une fête ? Mais attendez mais ça c'est privé, ça ! |
Ygerne | Je n'ai jamais dit que j'étais venue pour ça ! |
Arthur | Mais si ! Mais ne me prenez pas pour une truffetruffe (n.f.) Individu naïf ou stupide En savoir plus ! Vous êtes venue me casser les sabots« casser les sabots » (loc.) Importuner, agacer, exaspérer quelqu’un En savoir plus pour que j'aille à votre saloperie de fête ! |
Ygerne | Absolument pas ! |
Léodagan | (À Arthur.) Et pourquoi vous y allez jamais, vous ? |
Arthur | Mais parce que ça me gonfle ! |
Ygerne | Il aime pas sa tante. |
Léodagan | Quoi ? |
Arthur | Mais ça a rien à voir avec ça ! J'y vais pas parce que c'est hyper loin, déjà... parce que Tintagel, même si soi-disant, c'est mes racines, j'ai dû y foutre les pieds deux fois dans ma vie, et que se geler les noixnoix (n.f.) Testicule En savoir plus jusqu'à six plombesplombe (n.f.) Heure En savoir plus du mat' à chanter des machins en patois, c'est définitivement pas mon truc. Voilà ! Et en plus, alors y a ma connasse de tante que je peux pas blairerblairer (v.) Supporter, apprécier En savoir plus, histoire de fignoler le tableau« fignoler le tableau » (loc.) Etre complet en décrivant une situation En savoir plus. |
Léodagan | (À Ygerne.) Bon ben, écoutez je suis désolé mais enfin... ça à l'air d'être « non ». |
Ygerne | Mais encore une fois, je ne suis jamais venue ici pour demander ça ! Effectivement, ça m'aurait fait plaisir de voir mon fils à la fête de l'hiver mais tans pis. Ça, c'est privé, ça n'a rien à voir avec ma doléance. |
Léodagan | Ah bon. Bon, bon. Bah alors euh... alors qu'est-ce que c'est, votre doléance ? On vous écoute ! |
Ygerne | Je viens officiellement adresser au roi Arthur de Bretagne une invitation du peuple de Tintagel à la grande fête de l'hiver qui se déroulera dans cinq semaines à compter d'aujourd'hui. |
Salle du trône, jour. Arthur est assis sur son trône, Léodagan à côté de lui. Devant eux se tient Ygerne. | |
Arthur | Non, non, et non non, j'y foutrai pas les pieds ! |
Léodagan | Attendez, faites pas le con non plus, là c'est l'invitation officielle d'un clan fédéré... |
Arthur | Hé ben j'en ai rien à carrer« n'en avoir rien à carrer » (loc.) Se désintéresser d’une chose ou y être totalement indifférent En savoir plus ! |
Ygerne | Le peuple de Tintagel est courroucécourroucé (adj.) Fâché, irrité En savoir plus de ce refus. |
Arthur | Eh bah tant pis pour sa tronche ! |
Léodagan | Hé, mais on se calme, enfin ! On va pas risquer une guerre de clans, tout ça parce que vous pouvez pas voir votre tante ! |
Ygerne | En plus, depuis qu'elle a perdu son mari, c'est plus la même femme ! Elle s'est drôlement arrangée ! |
Arthur | Non ! J'aime pas, elle craintcraindre (v.) Etre déplaisant, pénible, embarrassant, laid ou encore dangereux En savoir plus, cette fête ! La musique est pourrie, y a que des vioquesvioque (n.) Personne âgée En savoir plus, on bouffe de la merde ! |
Ygerne | Le peuple de Tintagel exige des excuses immédiates de la part du souverain breton ! |
Arthur | Le peuple de Tintagel, il peut aller se gratterse gratter (v.) Être contraint de renoncer ou de se passer de quelque chose En savoir plus ! |
Léodagan | Mais stop, espèce de marteaumarteau (n.m.) Fou En savoir plus ! Je vous rappelle que leur terre est rattachée à la vôtre ! |
Arthur | Ben je leur rends, leur lopin moisi ! |
Ygerne | Arthur ! Maintenant ça suffit, vous irez à la fête, et vous ferez un bisou à tati ! |
Arthur | Non ! M'en fous, j'irai pas ! (Croise les bras et boude.) |
Léodagan | Ah non hein, ça redevient privé, là ! Non non euh... je vous en prie, faites gaffe... |
(Fermeture.) |
Chambre de Léodagan, soir. Séli et Léodagan sont au lit. | |
Séli | Au fait, on a la visite des chrétiens russes dans un mois, vous vous souvenez ? |
Léodagan | Des qui ? |
Séli | Il faudrait que vous vous déguisiez en saint Nicolas pour distribuer des friandises aux mômes. |
Léodagan | Déguisé en qui ? |
Séli | En saint Nicolas, c'est le patron des Russes. |
Léodagan | Non mais ça va pas mieux non ? |
(Noir.) | |
Léodagan | Je passe déjà la moitié de mes journées à faire le guignol, faut que je me déguise en patron maintenant... |
(Stab final.) |