Salle à manger, jour. Arthur et Perceval mangent ensemble. |
Perceval |
Moi, le problème quand je raconte mes aventures, c'est que j'essaie de les rendre un peu... |
Arthur |
Oui, mais enfin, avant de les rendre un peu... vous pourriez déjà essayer d'être compréhensible sur les faits. |
Perceval |
Bah ouais mais les faits... |
Arthur |
Oui non mais je sais bien, je sais bien que vous cassez pas douze dragons par semaine, ça... |
Perceval |
J'ai peur que ce soit pas intéressant si j'invente pas par-dessus. |
Arthur |
Mais... bon, par exemple là, pour cette fois, votre histoire de village abandonné. C'est pas mal ça, déjà, un village abandonné. Sans en rajouter, qu'est-ce qui s'est passé exactement ? |
Perceval |
Bah rien... y avait pas un rat dans le bledbled (n.m.) Pays, ville ou village quelconque En savoir plus. |
(Ouverture.) |
Salle à manger, jour. Arthur et Perceval mangent ensemble. |
Arthur |
Non mais y avait pas un vieux dans votre truc ? Vous avez parlé d'un vieux. |
Perceval |
Mais non, y avait personne. |
Arthur |
Le vieux aussi c'était du flan ? |
Perceval |
Mais c'est tout du flan ! |
Arthur |
Mais c'est vrai que y a toujours un vieux dans vos histoires... |
Perceval |
Ouais ou une vieille, des fois. |
Arthur |
Et à chaque fois c'est pas vrai ? |
Perceval |
Si, une fois. Un couple de vieux moisis qui m'avait jeté des carottes. |
Arthur |
Ah bon ? |
Perceval |
Non mais je l'ai jamais raconté à la Table ronde, ça. |
Arthur |
Bref. Non mais, c'est normal d'inventer. Bon, faut pas tout inventer non plus, mais... il faut savoir faire résonner l'histoire. La légende. Vous savez ce que ça veut dire « légende » ? |
Perceval |
Je crois, oui. Mais je vais mettre deux heures à expliquer, ça va m'énerver. |
Arthur |
La légende c'est « qui mérite d'être lu ». Quand on file une histoire à un copiste pour qu'il en fasse trois exemplaires, que ça va lui prendre trois mois, et que ça va coûter la peau des fesses, c'est pas pour raconter le temps qu'il fait ou ce que vous avez bouffé le midi, hein. Faut que ça pète ! |
Perceval |
Pour ça, je mets des vieux. |
Arthur |
Déjà, une histoire, il faut bien la commencer. Bon euh... je vais pas vous citer Aristote... |
Perceval |
Qui ça ? |
Arthur |
Aristote. Non, non non, mais c'est bon, vous connaissez pas, c'est pas grave. |
Perceval |
C'est pas celui qui a écrit « La Poétique » ? |
Arthur |
(Impressionné.) Euh... bah si. Si, si si, carrément. |
Perceval |
Ouais, mais je le savais, ça ! |
Arthur |
Mais vous l'avez lue, « La Poétique » ? |
Perceval |
Non, je sais pas lire. |
Arthur |
Mais vous savez quand même que c'est Aristote qui a écrit le... non mais c'est bon, ça va, on s'en fout. Donc... Aristote dit qu'un tout est ce qui est constitué d'un début, d'un milieu, et d'une fin. C'est pour ça que y a l'histoire des trois actes. |
Perceval |
Les trois actes c'est les bonnes femmes qui sont mi-taupes, mi-déesses, et qui ont forcé les mecs de Bethléem à construire les pyramides. |
Arthur |
(Après un moment de silence.) Donc, il faut avoir un bon début. Ce matin en réunion, première erreur, dès le début, on pigeait rien. |
Salle à manger, jour. Arthur et Perceval mangent ensemble. |
Arthur |
On bitebiter (v.) Comprendre En savoir plus rien, et en plus on s'en fout ! Vous vous lancez trop dans les explications. |
Perceval |
Mais qu'est-ce qu'il faut que je dise alors ? |
Arthur |
« J'arrive dans un village désert » ! |
Perceval |
Mais du coup on comprend pas que y a deux parties au village ! |
Arthur |
Mais qu'est-ce qu'on en a à secouer« n'en avoir rien à secouer » (loc.) Se désintéresser d’une chose ou y être totalement indifférent En savoir plus que y ait deux parties au village ? Vous comptez le faire visiter ? |
Perceval |
Ah non, je compte même pas y retourner. |
Arthur |
Voilà. « J'arrive dans un village désert. » Et après ? |
Perceval |
Après en vrai ou avec mon vieux ? |
Arthur |
Non non non non non, après en vrai. Non, on verra après le vieux. |
Perceval |
Ben en vrai euh... j'ai attendu dix minutes et puis je me suis barré. |
Arthur |
Non mais attendez, vous n'allez quand même pas me dire que vous n'avez rien... du tout du tout ? |
Perceval |
Je me retrouve au milieu d'un patelin, y a pas un chat, pas un âne, pas une brouette, rien ! Qu'est-ce que je raconte derrière comme légende qui mérite d'être lue ? |
Arthur |
Non mais moi je me retrouve pas dans les patelins déserts si j'ai pas un indice de quelque chose ! Je pars pas au flan sans savoir ce que je cherche ! |
Perceval |
Ben moi c'était à l'instinct, euh, comme ça. |
Arthur |
Ah bah super ! Bravo, magnifique ! Parce que pour faire une légende avec ça, hein... |
Perceval |
C'est pour ça, je mets des vieux. |
Arthur |
Non mais c'est pas le tout de mettre des vieux, enfin ! Il faut savoir quoi en faire ! |
Perceval |
Bah c'était pas mal comment je l'ai fait arriver, non ? |
Arthur |
« Pas mal » ? |
(Fermeture.) |
Salle de la Table ronde, matin. Arthur, Perceval, Bohort, Léodagan et Galessin sont à la Table ronde, le père Blaise se tient à son pupitre (flashback). |
Perceval |
Mais non, il m'a rien dit ! |
Le père Blaise |
Rien du tout ? |
Perceval |
Bah je sais pas, « Holà chevalier ! ». Qu'est-ce que vous voulez qu'il me dise ? |
Galessin |
Nous, rien. On comprend déjà pas d'où il est sorti, ce vieux... |
Perceval |
Ben il est sorti de chez lui, d'où voulez-vous qu'il sorte ? |
Hervé de Rinel |
Mais je croyais que toutes les maisons étaient abandonnées ? |
(Noir.) |
Perceval |
Ouais bah vous de toute façon vos aventures c'est de la merde, alors... |
(Stab final.) |