Le Code De Chevalerie
❰ Livre I – épisode 46 ❱
Camp militaire, jour. Perceval et Karadoc sont en armure dans un campement, Karadoc mange. | |
Perceval | Vous vous rappelez quand on s'est pris la peignéepeignée (n.f.) Correction, raclée En savoir plus contre les Saxons ? |
Karadoc | Dans la forêt de Kelyddon ? |
Perceval | Non, celle du printemps... |
Karadoc | Ah ouais. Et ben ? |
Perceval | Ben j'ai pris un sacré coup au moral, quand même. |
Karadoc | Ah c'est sûr, c'était un coup dur... |
Perceval | Pas moyen de remettre la main sur cette gourde. |
Karadoc | En plus, c'était un cadeau, non ? |
Perceval | De ma grand-mère, pour mes onze ans... |
Karadoc | Ah, moche, moche... |
(Ouverture.) |
Salle de la Table ronde, jour. Arthur, Lancelot, Calogrenant, Léodagan, Galessin, Bohort et Karadoc sont réunis autour de la Table ronde. Le père Blaise se tient à son pupitre. | |
Arthur | Bon, c'est quoi le problème exactement ? |
Léodagan | Le problème, c'est que c'est toujours un peu les mêmes qui se tapentse taper (v.) Se charger d'une tâche pénible ; endurer En savoir plus le sale boulot, si vous voyez ce que je veux dire. |
Arthur | Non, je suis désolé, je vois pas, non. |
Léodagan | Alors, dès qu'il s'agit d'aller se dorer les miches« se dorer les miches » (loc.) Prendre du bon temps En savoir plus en Armorique pour demander aux filles si elles ont pas vu le cul de Lulu, alors là oui, là y a des volontaires ! |
Lancelot | Non, Sire, j'étais allé transmettre vos vœux à la fille du roi Hoël ! |
Léodagan | Voilà ! Par contre, pour se taperse taper (v.) Se charger d'une tâche pénible ; endurer En savoir plus les accords de paix avec les Wisigoths, qui c'est qu'on envoie ? (Se désigne.) |
Arthur | (Lassé.) Mais vous pouvez pas arrêter de vous bouffer le nez« se bouffer le nez » (loc.) Se disputer vivement En savoir plus sans arrêt pour des conneries... |
Léodagan | Ah, la paix avec les Wisigoths, c'est des conneries ? |
Arthur | Vous êtes autour de la Table ronde. Il serait peut-être temps de penser à être un peu solidaires ! Ces réunions sont sacrées, bon sang ! Elles sont là pour souder notre fraternité contre le Mal ! Rien ne doit se mettre en travers de notre communauté. |
Perceval | (Entre avec fracas.) Excusez... c'est juste pour vous dire : je vais pas pouvoir rester, aujourd'hui. Il faut que je retourne à la ferme de mes vieux. Y a ma grand-mère qui a glissé sur une bouse... c'est le vrai merdier. |
Salle de la Table ronde, jour. Arthur, Lancelot, Calogrenant, Léodagan, Galessin, Bohort et Karadoc sont réunis autour de la Table ronde. Le père Blaise se tient à son pupitre. | |
Arthur | Bon allez, au boulot ! Ça évitera de penser au reste. Père Blaise ? L'ordre du jour ! |
Le père Blaise | Ah bah aujourd'hui j'ai rien, moi... |
Arthur | « Rien » ? Comment ça, « rien » ? |
Le père Blaise | Bah on est une veille de pleine lune... et normalement, une veille de pleine lune, c'est relâche... |
(Tous se lèvent pour partir.) | |
Arthur | Ho là là, hop hop hop hop hop ! On se calme. |
(Tous se rassoient.) | |
Arthur | Qu'est-ce que c'est que cette histoire de relâche ? |
Le père Blaise | Bah c'est écrit noir sur blanc dans le nouveau code de Chevalerie ! |
Arthur | Le « nouveau code » ? |
Le père Blaise | Vous nous avez demandé de dépoussiérer l'ancien. Donc on a vu ça avec Messire Léodagan... |
Léodagan | Ouais, et puis c'était tout en ancien celte hein... on en a chié« en chier » (loc.) Eprouver de la difficulté En savoir plus ! |
Arthur | Mais, je vous ai rien demandé de dépoussiérer du tout, je vous ai demandé de le traduire, c'est tout ! |
Le père Blaise | Hé ben justement, quand on a traduit, ça a donné : « relâche ». |
Arthur | (Regarde Léodagan, effaré.) |
Léodagan | Ah non mais me regardez pas comme ça ! Si vous êtes pas content, faut aller vous les farcirse farcir (v.) Endurer, supporter En savoir plus, les négociations avec ces lousticsloustic (n.m.) Individu quelconque En savoir plus, là ! (Désigne les autres chevaliers.) |
Arthur | « Les négociations » ? Mais quelles négociations ? |
Léodagan | Bah, tant qu'ils comprenaient rien à l'ancien code, on pouvait leur raconter ce qu'on voulait, seulement depuis qu'il a été traduit, alors là, pardon ! Une pause par ci, puis une relâche par là, et puis « c'est intolérable ! », et puis euh... et puis « un acquis est un acquis ! »... |
Arthur | Non non non non non non mais y a rien à négocier ! Moi, les traîne-patinstraîne-patin (n.m.) Bon à rien, fainéant En savoir plus, je les remets au travail vite fait ! |
(Tous se lèvent pour partir.) | |
Arthur | Asseyez-vous ! |
(Tous se rassoient.) | |
Arthur | Mais qu'est-ce que c'est que ce cirquecirque (n.m.) Situation chaotique, désordre En savoir plus, aujourd'hui ? |
Le père Blaise | Hé ben ça, c'est la traduction de l'article treize ! Euh, « Si l'honneur du chevalier est bafoué lors d'une assemblée, ce dernier pourra recourir à son droit de vidage. » |
Arthur | « Son droit de vidage » ? |
Le père Blaise | Oui, je suis d'accord avec vous, c'est pas la meilleure traduction qu'on ait trouvée... |
Salle de la Table ronde, jour. Arthur, Léodagan et le père Blaise sont assis à la Table ronde. | |
Arthur | Dites-moi, je pense à une chose... il faut bien qu'elle soit ratifiée par moi, cette nouvelle traduction ? |
Léodagan | Euh, ratifiée ? |
Arthur | Enfin je veux dire... validée, quoi ! |
Léodagan | Ah oui oui oui. |
Le père Blaise | Absolument. |
Arthur | Parce que si je refuse de la signer... |
Le père Blaise | Ah bah là, c'est l'ancienne traduction qui s'applique. |
Léodagan | (Inquiet.) Ah oui, non mais avant de prendre des décisions, il faut quand même voir les bons côtés, hein... |
Arthur | « Les bons côtés » ? |
Léodagan | Oui, parce qu'avec le nouveau code, ils font plus de pauses... mais du coup, bah ils sont plus reposés ! Et moi, je pense aux combats ! |
Arthur | Moi, je pense que si on met pas le holà« mettre le holà » (loc.) Mettre fin à quelque chose En savoir plus tout de suite, ils vont finir par nous les demander pendant les combat, les pauses... |
(Léodagan et le père Blaise semblent gênés.) | |
Arthur | Ils les ont déjà demandées, c'est ça ? |
Le père Blaise | Euh, article... seize, alinéa quatre... |
Léodagan | Ouais, c'est ça. Sur les temps de pause... sur les... |
Arthur | Bon ! Maintenant qu'on a fini avec les bons côtés de la nouvelle traduction... on peut peut-être la foutre en l'air« foutre en l'air » (loc.) Se débarrasser d’une chose ou d’un objet En savoir plus et reprendre l'ancienne ? |
(Fermeture.) |
Salle de la Table ronde, jour. Arthur, Perceval, Karadoc, Bohort, Calogrenant et Léodagan sont réunis autour de la Table ronde. Le père Blaise se tient à son pupitre. | |
Perceval | Mais je croyais qu'on y avait droit, à ça... l'article sept de je sais pas quoi, là... |
Arthur | Ah ! Alors attention, Père Blaise s'il vous plaît, l'article sept ! |
Le père Blaise | (Lit.) « Qui sor mon cors mete flaele, s'onques fors cil qui m'ot pucele, out mamistié encore nul jor ! »Extrait des versets 23 à 25 du « Roman de Tristan » de Béroul, poète anglo-normand du XIIe sièce ; « Que ses coups s’abattent sur moi si un autre que celui qui m’a prise vierge a jamais été mon amant. » cf. Tristan et Yseut: les premières versions européennes, Editions de la Pléiade, Paris, 1995, établie sous la dir. de Christiane MARCHELLO-NIZIA, Béroul, p. 3, v. 23-25 |
Arthur | Voilà ! Ça répond à votre question ? |
Perceval | Du coup, on n'y a plus droit. |
Arthur | Vous voulez qu'on vous relise l'article ? |
(Noir.) | |
Perceval | Non, non, je vous fais confiance. |
(Stab final.) |