Le Tourment II

Livre II – épisode 94

Taverne, jour. Perceval et Karadoc sont à la taverne.
Karadoc C'est quand votre anniversaire, déjà ?
Perceval Je le dis pas.
Karadoc Pourquoi ?
Perceval À l'époque quand je le disais, tout le monde oubliait de me le souhaiter ! Ça me faisait pleurer. Ça m'a gonflé, j'ai arrêté.
(Ouverture.)
Salle à manger, jour. Perceval et Arthur mangent dans la salle à manger.
Perceval Sire, on peut parler, ou vous préférez manger calmement ?
Arthur Parce que si on parle, forcément je m'énerve ?
Perceval Bah non, j'en sais rien !
Arthur Hé bah allez-y, on verra !
Perceval De but en blanc, comme ça, ça fait un peu bizarre... vous allez trouver ça con !
Arthur Je m'y attends.
Perceval Bon ben voilà, vous savez, vous avez vachement bonne réputation chez les collègues chevaliers !
Arthur Ah bon ?
Perceval L'autre jour, je sais plus qui c'est qui disait : « Avec tout ce qu'on lui fait voir, il se débrouille quand même pour garder le moral. »
Arthur Ah, parce que vous le savez en fait que vous êtes une bande de branleursbranleur (n.m.) Individu qui emploie une partie significative de son temps à ne rien faire
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 ! Vous en discutez entre vous, même !
Perceval Non mais ce qui m'a fait tiquer, c'est le seigneur Bohort, qui disait que ce qui était impressionnant chez vous, c'était l'amour que vous nous portiez.
Arthur Ouais, ben ça ça dépend des jours...
Perceval Moi je dirais plutôt, ça dépend qui !
Arthur C'est-à-dire ?
Perceval Ben justement, c'est ça qui me pose problème ! Je suis le seul que vous aimez pas.
Arthur (Reste interdit.)
Salle à manger, jour. Perceval et Arthur mangent dans la salle à manger.
Perceval Vous savez, je le prends pas mal, hein !
Arthur Non mais pourquoi vous dites ça ? C'est complètement con !
Perceval Attendez, c'est remontrance sur remontrance ! À chaque fois que j'ouvre la bouche, vous levez les yeux au ciel !
Arthur (Lève les yeux au ciel.)
Perceval Tenez ! Vous voyez ?
Arthur Non mais attendez, peut-être que je vous fais plus de remontrances parce que vous faites plus de conneries aussi !
Perceval Tout le monde en fait des conneries...
Arthur Non non, attendez. Vous faites beaucoup plus de conneries que les autres, et c'est pas peu dire.
Perceval Et c'est pour ça que vous m'aimez pas.
Arthur Mais arrêtez avec ça ! Qu'est-ce que c'est que cette nouvelle glanderie encore ! Qu'est-ce que ça veut dire, ça, je vous aime pas ?
Perceval Quoi, c'est pas vrai, peut-être ?
Arthur Pas du tout !
Perceval Vous m'aimez ?
Arthur (Mal à l'aise.) Je vous aime...
Perceval Oui ou non ?
Arthur Mais je n'en sais rien...
Perceval Si vous savez pas c'est que c'est non.
Arthur Enfin vous avez une manière de présenter ça, aussi !
Perceval Ben c'est pas compliqué comme question !
Arthur Non c'est compliqué comme réponse !
Perceval Encore une fois, je vous le reproche pas. L'amour, ça c'est un truc, ça se commande pas.
Arthur Bon ! Comme ça je verrai où vous voulez en venir... mettons que je vous aime pas...
Perceval Ah bah voilà !
Arthur Non, j'ai dit « mettons ».
Perceval Bah après je fais les valises, et je retourne au pays de Galles.
Arthur Ah ouais, carrément.
Perceval Ah bah ouais ! Je suis obligé ! Parce que moi je vous aime vachement, quand même ! Alors ces trucs-là, quand ça marche que dans un sens, c'est pas bien bon.
Arthur Mais qu'est-ce qui peut bien se manigancer dans votre tronche pour vous pointer avec des idées pareilles...
Perceval Sire ! Je peux pas faire mieux, là ! Vous pouvez pas me blairerblairer (v.) Supporter, apprécier
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, je pars ! (Se lève.)
Arthur Ah d'accord, ah oui, vous partez tout de suite, en fait ! Ah, super ! Asseyez-vous.
Perceval Mais Sire !
Arthur Non, asseyez-vous, asseyez-vous ou vous mangez une tartetarte (n.f.) Coup, gifle
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.
Perceval (Se rassoit.)
Salle à manger, jour. Perceval et Arthur mangent dans la salle à manger.
Arthur Où est-ce qu'ils déjeunent les autres chevaliers ?
Perceval Euh... À la salle de garde, je crois ! Y a Karadoc qui a préparé un petit frichtifrichti (n.m.) Repas rapidement préparé
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 !
Arthur Vous y êtes pas, vous ?
Perceval Bah non, je suis là !
Arthur Mais pourquoi vous êtes là ?
Perceval Bah... parce que vous m'avez invité !
Arthur Ah ! Et c'est la première fois ?
Perceval Non.
Arthur Avec quel autre chevalier je déjeune seul à seul ?
Perceval Bah, je sais plus !
Arthur Aucun.
Perceval Aucun ?
Arthur Aucun. Vous êtes le seul !
Perceval Ah mais, comment ça se fait ?
Arthur Parce que j'ai envie ! Une heure avant, je me dis toujours : « Tiens euh... je vais déjeuner avec Perceval, euh... ça me fait plaisir. »
Perceval (Reste silencieux.)
Arthur Ça vous la coupe« la couper » (loc.) Laisser sans voix, interloquer
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, ça, hein ?
Perceval Un peu, oui.
Arthur Bon après, une fois que je bouffe avec vous, je regrette, hein, on est d'accord ? (Saisit une coupe.) Arrivé au milieu du repas j'ai toujours envie de vous éclater le crâne avec le tranchant de la coupe, là voyez, pour vous fermer votre gueule une bonne fois pour toutes ! Mais sinon, non, je vous aime.
(Fermeture.)
Salle à manger, jour. Perceval et Arthur sont debout dans la salle à manger, dans les bras l'un de l'autre.
Arthur Ça va ? Vous avez pas l'air à votre aise !
Perceval Si, si ! Je profite, parce que je me dis que ça va pas être tous les jours !
Arthur Ah ben je vous confirme, oui ! Le coup du chantage affectif, une fois, pas deux !
Perceval Donc vous pouvez pas me supporter, mais vous m'aimez !
Arthur Voilà, c'est un peu ça.
Perceval Remarquez, y a les voisins de mes vieux, ils ont quatre fils, y en a un il est un peu attardé, hé ben c'est leur préféré.
(Noir.)
Arthur Ah bah vous voyez, je comprends, moi, ça !
(Stab final.)