L’Entente Cordiale

Livre IV – épisode 82

Tour de surveillance côtière, jour. Yvain et Gauvain sont en tenue de nuit ; au loin, on devine un incendie.
Yvain Vous avez pas allumé le feu d'alerte, là haut ?
Gauvain Mais non, je vais pas allumer le feu d'alerte là haut parce que ça sent le brûlé !
Yvain Ben ça vient bien de quelque part !
Gauvain (Remarquant que la forêt brûle.) Seigneur Yvain !
Yvain « Chevalier au lion ».
Gauvain Seigneur Yvain, Chevalier au Lion, venez voir ! C'est la forêt là-bas qui flambe.
Yvain (Rejoignant Gauvain.) Hou... mais qu'est-ce qu'on fait, nous ? On doit donner l'alerte, quand y a un incendie ?
Gauvain On allume un feu pour signaler que y a un feu ?
Yvain Bah ouais...
(Ouverture.)
Salle du trône, jour. Arthur est assis sur son trône, Léodagan est assis à côté de lui. Devant eux se tiennent Guethenoc et Roparzh.
Roparzh Moi j'ai juste mis le feu à son cabanon, là où c'est qu'il range ses outils.
Guethenoc Et moi j'ai riposté en foutant le feu à la grange, là... là où qu'il stocke son fumier !
Roparzh Euh c'est après, les... les feux se sont rejoints.
Guethenoc Oui, le vent... le vent s'est levé, on n'a pas réussi à maîtriser.
Léodagan Vous vous rendez compte que la moitié de la forêt a foutu le camp ? Et que si il s'était pas mis à pleuvoir, y aurait carrément plus de forêt du tout !
Arthur Non et puis je sais pas, ça fait des années que je vous dis d'arrêter vos conneries, des années, ça a jamais rien changé, maintenant vous cramez des forêts ?
Léodagan Donc, là, c'est fini, hein, on arrête les frais... on vous retire vos terres.
Guethenoc (Stupéfait.) Mais, mais attends... mais attendez, attendez ! Mais on se réconcilie ! On se réconcilie, je l'ai même, euh... je l'ai même invité... à souper, à la maison, ce soir !
Roparzh De quoi ?
Guethenoc Ben si !
Roparzh Ah ouais ! Oui oui, il m'a... il m'a invité !
Guethenoc Non mais ça nous a bien remis les idées en place, là, l'incendie, on a pris conscience de... de certaines choses.
Roparzh On va tâcher moyen d'être sages.
Guethenoc Voilà.
Arthur C'est... bon, bon... alors, je vous laisse une dernière chance.
Léodagan Oh ! Bah...
Arthur (À Léodagan.) Oui, écoutez, voilà... (À Guethenoc et Roparzh.) Attention. Parce que si jamais on me rapporte que vous vous êtes encore frités, ou que même vous avez juste levé la voix pendant votre repas, je vous... retire vos terres.
Roparzh (Faussement aimable, à Guethenoc.) Qu'est-ce que je fais, je... j'amène le vin ?
Guethenoc Ah bah vu la merde que c'est... (Comprenant.) Ah bah c'est... ah bah si vous voulez, oui ! Il paraît qu'il est fameux !
(Guethenoc et Roparzh se font une série de courbettes et de politesses.)
Maison de Guethenoc, soir. On frappe à la porte, Guethenoc va ouvrir.
Guethenoc Oh ! (Rit.)
Roparzh (Entre, portant un bouquet de blettes.) J'arrive pas trop tôt ?
Guethenoc Mais non mais non mais non ! Entrez entrez entrez, restez pas dehors !
Roparzh Oh, je vais tout vous salir !
Guethenoc Mais non, pensez pensez, entrez entrez entrez, oh là là !
Roparzh Je vous ai apporté ces quelques blettes !
Guethenoc Oh bah écoutez... mais fallait pas, vous êtes bien frais ! Asseyez-vous donc, asseyez-vous donc !
Roparzh Hé bah dites ! Ça fait longtemps que j'étais pas venu !
Guethenoc (Jette les blettes derrière son épaule dès que Roparzh a le dos tourné.)
Roparzh Mais... vous y avez drôlement bien retapé hein ! Alors là, chapeau bas. Quel beau raffinement, je dirais... maison de caractère, avec votre personnalité. On vous retrouve bien !
Guethenoc Oh, vous êtes bien... vous êtes bien gentil, bien gentil, bien gentil, bien... on fait petit à petit, petit à petit, vous savez moi, moi j'ai pas votre patience, moi. Parce que quand je vois comment vous avez été minutieux, hein minutieux on peut dire hein, avec la porte de votre grange, moi je suis admiratif. Mais vous savez, vous avez de l'or, vous avez de l'or au bout des doigts, vous !
Roparzh Oui, mais ça me prend un temps fou !
Guethenoc Oui, oui, oui...
Roparzh Je ferais mieux de prendre exemple sur vous !
Guethenoc Ah bon ?
Roparzh Pas passer tout mon hiver à bricoler...
Guethenoc Oui...
Roparzh ...et je serais pas si tant à la bourre sur les semences !
Guethenoc (Criant de plus en plus fort.) Oh ! Écoutez écoutez écoutez, je vais vous dire, je suis passé... ce matin, je suis passé devant vos cerisiers ! Mais je me suis dit « Mais... », mais j'ai dit « Mais bon Dieu ! Mais comment c'est possible d'être aussi doué... doué avec des arbres fruitiers ? », mais vous savez que vous avez... mais attendez vous avez un talent fou ! Mais vous savez, ça ? Vous savez que vous avez du talent ? Merde ! Des fois j'ai envie de dire, mais faut le savoir ça non !
Roparzh Mais alors, passé la mi-saison, ce qui arrive, c'est déjà sec comme... comme une tartetarte (n.f.) Coup, gifle
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dans la gueule ! J'ai envie de dire.
Guethenoc (Souriant nerveusement.) Ah oui ! Oui... oui oui oui oui...
Roparzh Tandis que chez vous, vous avez eu l'intelligence d'aménager une zone d'ombre, et ça c'est tout à votre crédit !
Guethenoc Euh oui oui, oh « aménager », vous savez, c'est surtout votre mur qui me fait de l'ombre !
(Guethenoc et Roparzh perdent leur sourire forcé.)
(Fermeture.)
Maison de Guethenoc, soir. Guethenoc et Roparzh sont à table.
Roparzh J'admets que mon mur je l'ai monté, un peu sans... vous demander votre avis.
Guethenoc Bah vous avez bien fait, vous avez bien fait ! De façon, si il faut demander toutes les permissions, on fait jamais rien, alors...
Roparzh Mais tout à fait, comme je dis toujours : « Un mur, ça se monte et ça se démonte ! », pas vrai ?
Guethenoc Ben... mais parfaitement, mais si un jour, si un jour j'en ai marre, j'y fous deux-trois coups de masse et puis on n'en parle plus !
Roparzh Mais bien sûr ! Je vous donnerai la main ! J'en ai une de masse, moi aussi, comme ça j'en profite pour vous en mettre un coup dans la gueule, c'est pas bien méchant !
(Guethenoc et Roparzh se lèvent d'un bond et s'empoignent.)
(Noir.)
(On entend du verre se briser.)
Guethenoc Vous avez bien fait d'emmener des bouteilles !
(Stab final.)