Les Tartes Aux Fraises
❰ Livre IV – épisode 4 ❱
Salle à manger, jour. Arthur, Yvain, Léodagan et Séli mangent ensemble ; personne ne parle. | |
Arthur | Bon, c'est euh... c'est chiant ce repas, là. Moi j'y vais, j'ai du boulot. |
Léodagan | Comment ça, « c'est chiant » ? |
Arthur | Ouais, c'est chiant. Vous êtes chiants, vous avez pas décroché un mot de tout le repas, vous êtes chiants. |
Séli | On n'est pas dans notre assiette. |
Arthur | Bah voilà, du coup vous êtes chiants. Y a jamais de demi-mesure avec vous, soit vous arrêtez pas de gueuler, soit vous passez une heure et demie à pas moufter. |
Léodagan | Bon ben qu'est-ce que vous causez là, il parait que vous avez du boulot. |
Séli | Hé ben le boulot attendra... y a du dessert. |
Yvain | Ah ben voilà ! |
Arthur | Voilà quoi ? |
Yvain | Ben l'ambiance est pas au beau fixe, mais un bon dessert maison peut très bien ramener l'ambiance au beau fixe ! |
(Une servante vient présenter une tarte.) | |
(Ouverture.) |
Salle à manger, jour. Arthur, Yvain, Léodagan et Séli mangent ensemble ; ils contemplent une tarte. | |
Arthur | Bon, on va le regarder pendant combien de temps ce machin, là ? |
Séli | (Blessée.) Ce machin, c'est moi qui l'ai fait. Et c'est une tarte aux fraises. |
Arthur | Oui mais on peut en manger ou faut rester le nez dessus pendant une plombeplombe (n.f.) Heure En savoir plus et demie encore ? |
Séli | Mais on va en manger, rassurez-vous ! |
Arthur | Bah, si c'est vous qui l'avez faite, je vois vraiment pas de quoi être rassuré ! |
Léodagan | Moi non plus. |
Yvain | Bah moi non plus. |
Séli | Avant de l'entamer, je tiens à ce que tout le monde sache que je l'avais préparée pour Guenièvre, parce qu'elle aime les fraises. |
Yvain | Hé ben moi aussi, j'aime les fraises... |
Séli | Guenièvre est partie et on se retrouve avec la tarte sur les bras, je trouve ça triste. C'est pour ça que je me jette pas dessus comme la misère sur le pauvre monde, parce que ma fille est partie et ça me fait mal, et à son père aussi. |
Léodagan | Non non, moi ça va. |
Séli | Ne dites pas n'importe quoi, vous avez la mine basse et l'œil humide, vous êtes triste. |
Léodagan | Non, je suis pas triste, j'ai la mine basse parce que je comprends pas pourquoi tout le monde a les yeux rivés sur une tarte aux fraises... et puis j'ai l’œil humide parce que je lutte pour pas roupillerroupiller (v.) Dormir En savoir plus. |
Séli | Bon hé ben sa mère et son frère sont tristes. |
Yvain | Bah c'est-à-dire que moi je vous entends dire que Guenièvre est partie mais j'étais pas du tout au courant, en fait. |
Séli | Oh, mais c'est pas vrai ça ! |
Yvain | En revanche je suis triste pour un autre truc, mais euh... ça m'embête d'en parler. J'estime que chacun a droit à son jardin secret. |
Séli | Bon allez, vous me gonflez tous, c'est si difficile que ça d'avoir une pensée pour quelqu'un qu'on aime et qui est parti ? Il faut forcément se jeter sur la bouffe comme des malheureux ? |
Léodagan | Avoir une pensée c'est une chose, la mettre en relation avec une tarte aux fraises... |
Séli | Bon ben allez, puisque y a pas moyen d'être solennel, envoyez vos auges ! |
Yvain | (Tendant son assiette.) Allez, par gourmandise ! |
Salle à manger, jour. Arthur, Yvain, Léodagan et Séli mangent ensemble une tarte préparée par Séli. | |
Léodagan | Bah, si vous l'avez faite pour Guenièvre, moi je dis bon, on arrête de la manger, on lui fait un petit colis, on lui envoie ! |
Séli | Bon, qu'est-ce qu'il y a, c'est pas bon ? |
Arthur | Non mais c'est au-delà de ça, je crois. L'autre jour je revenais de la plage, et je suis tombé sur un coin à fraises, alors je m'en suis fait un plein ventre... parce que les fraises, quand on leur fout la paix, en fait elles sont consommables. Là c'est aussi des fraises, probablement les mêmes d'ailleurs, mais par un procédé miraculeux que j'arrive pas à m'imaginer, on dirait des gadins. |
Séli | C'est la cuisson, bande d'andouilles ! |
Léodagan | C'est marrant parce que d'habitude, dans les tartes, moi je mange les fruits et puis je laisse la pâte... |
Arthur | Et là vous faites l'inverse... |
Léodagan | Ah, euh... ah non non, là je laisse tout, là. |
Yvain | (Gesticule, en proie à la douleur.) |
Séli | Hé ben, qu'est-ce qu'il y a ? |
Yvain | Je crois que je me suis coupé la gencive avec un grumeau cuit ! C'est possible ou pas ? |
(Fermeture.) |
Salle à manger, jour. Arthur, Yvain, Léodagan et Séli mangent ensemble une tarte préparée par Séli. | |
Séli | Mais on s'en fout, que ce soit bon ou pas, je vous dis que c'est un hommage ! |
Léodagan | Un hommage ? |
Séli | Un hommage, pas un hommage, non mais un genre de... en souvenir de la petite, quoi ! |
Léodagan | « En souvenir de la petite », tout de suite les jérémiades, alors « elle aimait les fraises, et je l'avais faite pour elle, et puis je suis triste », ça va hé ! Elle est partie elle va pas crevercrever (v.) Mourir En savoir plus ! (Montrant son assiette.) Alors nous en revanche, c'est pas dit hein ! |
Arthur | En tout cas j'espère que vous allez pas faire un dessert à chaque fois que y en a un qui se barrese barrer (v.) Partir, s'en aller En savoir plus du château, parce que je vais pas tenir le choc, je vous préviens. |
Yvain | Moi, la prochaine fois que y a une tarte, je m'en fous, je m'en vais. |
Léodagan | Oh bah non ! |
(Noir.) | |
Léodagan | Partez pas, y en aurait une autre ! |
(Stab final.) |