Couloir du château, nuit. Lancelot se tient devant la porte d'Arthur, Kadoc derrière lui. |
Arthur |
(Ouvre sa porte.) Qu'est-ce qui se passe ? |
Lancelot |
Je suis désolé de vous lever du lit en pleine nuit, Sire, mais c'est très urgent. |
Arthur |
(Désignant Kadoc.) Et lui qu'est-ce qu'il fout là ? |
Lancelot |
Il m'a entendu marcher dans le couloir, depuis il me suit partout. Pas moyen de m'en débarrasser. (À Kadoc.) Allez vous coucher ! (À Arthur.) J'en ai un peu marre. |
Arthur |
Surtout qu'il risque pas d'aller se coucher, il dort jamais. Bon dites, qu'est-ce que c'est qui est urgent ? |
Lancelot |
Le problème c'est que c'est limite secret militaire... j'aurais bien aimé m'entretenir seul à seul avec vous. |
Arthur |
Ah mais vous pouvez y aller, il comprend rien. |
Lancelot |
Mais il comprend rien... rien ? |
Arthur |
(À Kadoc.) Hé ! Comment je m'appelle ? |
Kadoc |
Kaamelott ? |
Arthur |
(À Lancelot.) Vous voyez... |
(Ouverture.) |
Couloir du château, nuit. Arthur et Lancelot discutent devant la chambre d'Arthur ; Kadoc se tient non loin. |
Lancelot |
C'est sûr que d'un point de vue purement stratégique, y aurait pas à hésiter. La première ligne s'avance, bon on perd ce qu'on perd, mais au moins on crée la ligne de front. |
Arthur |
Hé ben alors ? Qu'est-ce qu'il y a qui va pas, là ? |
Lancelot |
Ben il se trouve qu'en l'occurrence, les premières lignes c'est que des novices. Par le hasard des affectations, ce sont de jeunes soldats qui se retrouvent devant. |
Arthur |
Le hasard des affectations et éventuellement les vieux soldats qui ont envoyé les jeunes au casse-pipe. |
Lancelot |
Euh... c'est possible euh... je sais pas le détail, non plus. |
Arthur |
Donc là si on avance la première ligne, on envoie les jeunes se faire charcuter. |
Lancelot |
Voilà ! |
Arthur |
Excusez-moi mais ça m'étonne de vous voir en faire un cas de conscience. Ça vous ressemble pas, ça. |
Lancelot |
Et parce que c'est quoi qui me ressemble ? Envoyer tout le monde au saloirenvoyer au saloir (expr.) Envoyer dormir et, par extension, envoyer se faire tuer. En savoir plus sans en avoir rien à foutre ? |
Arthur |
Non non mais c'est très bien, attention, et j'aime autant vous dire, je préfère hein... |
Lancelot |
Bon, des fois on n'a pas le choix, il faut sacrifier les jeunes. |
Arthur |
Ouais, et là on peut faire autrement ? |
Lancelot |
On repousse l'assaut à demain, nous deux on part dans une heure, et sur place on réorganise les troupes avant le lever du soleil. |
Arthur |
OK, on fait ça. (Retourne se coucher.) |
Lancelot |
(À Kadoc.) Allez vous coucher ! (Part.) |
Salle des novices, jour. Le maître d'armes donne cours. |
Le maître d’armes |
C'est pourtant simple ! Je vous demande de me citer un commandement de chef de guerre que nous pourrions analyser. Essayez simplement de vous souvenir d'une phrase que vous auriez entendu prononcer par le roi, par le seigneur Lancelot... |
Kadoc |
« Des fois, on n'a pas le choix, faut sacrifier les jeunes. » |
Le maître d’armes |
Qu'est-ce que vous dites ? |
Kadoc |
C'est le grand qu'a dit. |
Le maître d’armes |
Qui ça ? Je comprends... je comprends rien... |
Yvain |
« Le grand » c'est le seigneur Lancelot, il l'appelle toujours comme ça. |
Le maître d’armes |
Et qu'est-ce qu'il a dit, le seigneur Lancelot ? |
Kadoc |
« Des fois, on n'a pas le choix, faut sacrifier des jeunes. » |
(Un silence pesant s'installe.) |
Couloir du château, nuit. Arthur, Lancelot et le maître d'armes discutent devant la chambre d'Arthur. |
Le maître d’armes |
Évidemment qu'ils veulent plus se battre avec des concepts à la con comme les vôtres... |
Lancelot |
Premièrement c'est une vérité, et deuxièmement ça n'aurait jamais dû sortir de ce couloir. |
Le maître d’armes |
Toutes les vérités ne sont pas bonnes à... |
Arthur |
Oui non d'accord, non mais c'est bon. Donc les jeunes soldats refusent de se battre. |
Lancelot |
Ils refusent même de quitter le château. C'est votre beau-frère qui leur monte le bourrichon« monter le bourrichon (de quelqu'un) » (loc.) Exalter, exciter quelqu'un En savoir plus. |
Le maître d’armes |
Et vous savez ce qu'il leur dit pour les remonter contre nous ? Qu'ils sont les bouches émissaires du gouvernement ! |
Arthur |
Les « bouches émissaires » ? |
Lancelot |
En tout cas les autres ils ont l'air de comprendre. Ils refusent de bouger. |
Arthur |
Enfin bon, on peut toujours envoyer les soldats expérimentés, ça nous laisse le temps de régler le problème. |
Lancelot |
Les soldats expérimentés refusent de bouger. |
Arthur |
Quoi ? Bah... c'est pas vrai, qu'est-ce qui leur prend à ceux-là ? |
Le maître d’armes |
C'est soi-disant par solidarité avec les jeunes recrues, ils soutiennent le mouvement. « Une nation qui ne prend pas soin de sa jeunesse est une nation malade », et je vous passe les détails... |
Arthur |
Bon ben alors, qu'est-ce qu'on fait ? |
Le maître d’armes |
Il faut faire un démenti. |
Lancelot |
Vous annoncez officiellement qu'on n'a jamais dit ça, et qu'il a toujours été formellement exclu de sacrifier les jeunes soldats à des fins stratégiques. |
Le maître d’armes |
En espérant que ça suffise. |
(Fermeture.) |
Couloir du château, nuit. Arthur, Lancelot et le maître d'armes discutent devant la chambre d'Arthur. |
Arthur |
Mais qu'est-ce qui se passe encore ? |
Lancelot |
Depuis que vous avez annoncé qu'on sacrifiait plus les jeunes, les anciens refusent de se battre. |
Arthur |
Mais pourquoi ? |
Le maître d’armes |
Ils voient pas l'intérêt de persévérer dans l'armée si après dix ans de carrière ils peuvent pas envoyer les jeunes à leur place. |
Arthur |
Bon ben envoyez les jeunes, en tout cas... on peut déjà faire ça. |
Lancelot |
Non non, les jeunes ne veulent pas se battre... |
Arthur |
Mais pourquoi ? |
(Noir.) |
Lancelot |
Par solidarité avec les anciens. |
(Stab final.) |